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#62 : Les micro-organismes, oubliés de la protection de la biodiversité ?
"À chaque fois qu’on évoque un microbe, c’est pour parler d’une maladie alors 95% de nos microbes sont nos amis et nécessaires à notre vie. En réalité, la biodiversité est avant tout microbienne. Pendant trois milliards d'années, il n'y avait que des microbes. Aujourd’hui, on ne sait pas combien il y a de microbes sur la Terre, autrement dit avec qui on habite. Le microbiome de la planète Terre, c'est le sujet du siècle" - Colomban de Vargas, directeur de recherche au CNRS à la station biologique de Roscoff
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Dans le numéro précédent, nous avons vu, grâce à Virginie Courtier-Orgogozo, que notre vision de la biodiversité est déformée par plusieurs biais, liés notamment à nos sens, notre taille, notre société. Ces biais ne posent pas seulement des problèmes théoriques : ils ont des incidences concrètes sur la façon dont la biodiversité est ensuite protégée…ou non.
Pour l’illustrer, ce numéro va se concentrer sur un cas concret, “un pan entier du vivant qui nous échappe complètement” pour citer le chercheur Laurent Palka : les micro-organismes (bactéries, champignons microscopiques, virus, protozoaires, micro-algues), ces organismes que l’on a tendance à oublier quand on pense à la biodiversité, car invisibles à l’œil nu. Et le problème, c’est que ce biais n’est pas seulement l’apanage du grand public…
« Les évaluations mondiales de la biodiversité accordent peu d'attention au monde microbien », alors que « les microbes constituent une grande partie de la biodiversité mondiale », écrit ainsi le spécialiste Kent H. Redford dans un article publié en juin dans la revue Conservation Biology, repéré par la journaliste Emma Maris dans The Atlantic.
« De nombreux acteurs de la biologie de la conservation (champ scientifique qui étudie et vise à protéger le monde vivant et sa diversité) se désintéressent largement des microbes. Pourtant, l’ensemble de la vie animale et végétale a évolué et vit dans un monde dominé par les microbes. Nous dépendons de leur fonctionnement et de leur survie. Ils offrent des services aux trois composantes de la biodiversité (gènes, espèces et écosystèmes) ainsi qu’aux humains. Sans compter qu’ils ont une valeur en soi. »
Plus précisément :
-Les microbes sont extrêmement diversifiés : certaines estimations vont jusqu’à parler de mille milliards d'espèces (Locey & Lennon, 2016). Ces chiffres sont très discutés mais une chose est sûre : la grande majorité de ces espèces n'est pas encore connue. Les microbes représentent une part majeure des espèces de la Terre.
-Ils sont omniprésents. L'atmosphère, riche en microbes, transporte et dépose sur toute la surface de la Terre des centaines de millions de virus et des dizaines de millions de bactéries…par mètre carré par jour (Reche et al., 2018). Dans les écosystèmes marins, les microbes, principalement des bactéries, représentent près de 70 % de la biomasse marine et sont essentiels au cycle des nutriments. Dans les sous-sols de la Terre, dans lesquels vivent 70% des microbes terrestres, des chercheurs ont découvert en 2019 le plus grand écosystème microbien jamais observé, avec une biomasse plus de 245 fois supérieure à celle de tous les êtres humains et une diversité équivalente à celle de l'Amazonie. Plus globalement, les bactéries ont une biomasse totale 35 fois supérieure à celle de tous les animaux (70 GT de carbone vs. 2 GT) ; même les virus (plus petits que les bactéries) ont une biomasse équivalente à 10 % de celle des animaux.
-Les microbes régulent les principaux cycles biogéochimiques des nutriments, les échanges de gaz à effet de serre et la dynamique des maladies. Par exemple, notre sécurité alimentaire en dépend : dans les sols, ils sont essentiels à la croissance des plantes, et notamment des principales cultures vivrières humaines. Mais si on entend de plus en plus parler du rôle des microbes dans les sols (notamment grâce au talent de vulgarisation du biologiste Marc-André Selosse), il ne faut pas oublier leur rôle vital partout ailleurs, et notamment dans les océans. “Le microbiome océanique est probablement encore plus important pour la santé de l'océan que le microbiote l'est pour l'homme” va jusqu’à dire le chercheur Colomban de Vargas.
Considérer les microbes au-delà du prisme médical
Jusqu’ici, les microbes ont avant tout été le domaine d’étude des acteurs de la santé. « Les microbes ont été médicalisés par la médecine » écrit ainsi Redford. « La sphère de la protection de la biodiversité a été entraînée dans cette médicalisation des microbes par le biais du concept One Health, en mettant l'accent sur les maladies humaines et celles des animaux » (ainsi que sur les microbiomes des plantes cultivées). « Cette communauté doit maintenant élargir son horizon. »
« Les microbes sont confrontés au même ensemble de menaces que le reste de la biodiversité », poursuit-il : « les risques d’extinction causés par le changement d’usage des terres, les pollutions, le réchauffement et l'acidification des océans, les espèces envahissantes et la co-extinction entraînée par la perte d'espèces hôtes (Cavicchioli et al. , 2019). »
Ces impacts sur les microbes ne sont pas seulement théoriques : ils sont déjà avérés et documentés. Par exemple, une étude parue en 2020, menée par une équipe de recherche française à partir de sédiments de 48 lacs, a montré que les micro-organismes aquatiques ont été fortement affectés en l’espace d’un siècle par les bouleversements environnementaux causés par les activités humaines, avec « des changements drastiques », parmi lesquels une forte perte de diversité.
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Comment expliquer ce manque de considération ?
« Puisque leurs rôles vitaux sont bien documentés, pourquoi les microbes sont-ils si peu pris en compte dans la protection de la biodiversité ? » interroge Redford. Celui-ci avance trois raisons :
1/ Il pointe d’abord « les frontières tenaces entre certaines disciplines telles que la microbiologie et la science du sol - où les microbes sont les principaux sujets d'étude - et la sphère de la conservation, avec son biais envers les organismes plus grands et les écosystèmes expansifs ».
2/ Ensuite, « le concept d'espèce est difficile à définir vis-à-vis des microbes (pour diverses raisons, dont leur capacité à s’échanger du matériel génétique). Ils sont plus difficiles à compter avec les méthodes traditionnelles, ce qui les éloigne encore plus de la zone de confort des acteurs de la préservation de la nature. »
3/ « Enfin, les efforts de protection de la biodiversité à toutes les échelles n'ont jusqu’ici pas eu assez de ressources pour atteindre leurs objectifs : il y a donc une réticence compréhensible à se rajouter des efforts supplémentaires axés sur la diversité microbienne sans financement dédié ».
Redford souligne que « plusieurs tentatives ont déjà été faites pour amener la communauté de la biologie de la conservation à s'engager dans la protection des microbes, mais ces appels ont rencontré un écho limité, à quelques exceptions (intérêt croissant pour les microbiomes en tant que facteur de la protection des espèces, et pour la riche diversité microbienne dans les sols) ».
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Dans un article paru dans The Atlantic, la journaliste Emma Maris, qui est allée interroger Redford pour en savoir plus, indique qu’« aujourd’hui, considérer les microbes comme des facteurs de survie des plantes et des animaux devient plus commun », « d'autant plus que les outils pour détecter et séquencer les gènes microbiens deviennent plus abordables ».
« En revanche, la protection des microbes eux-mêmes fait l'objet de moins de travaux », ajoute-t-elle. D’abord parce que les acteurs de la préservation de la nature ont déjà beaucoup à faire. Mais aussi parce que les microbes sont jugés plus difficiles à étudier parce qu'ils ne rentrent pas parfaitement dans les catégories d'espèces », comme dit plus haut (ce qui fait écho aussi aux propos de Pierre-Henri Gouyon qui critiquait la « volonté de tout fonder sur l'espèce » et qui ajoutait : « ce n’est pas comme ça qu’il faut voir la biodiversité »).
Or « l’espèce forme l’unité de base en biologie de la conservation, ce qui se retrouve aussi dans les politiques publiques : par exemple, le dispositif politique central des États-Unis pour la protection du vivant s'appelle l'Endangered Species Act (la loi sur les espèces menacées). A l’inverse, les bactéries, les protistes, les virus et autres êtres miniatures ne se présentent pas sous la forme d'espèces faciles à distinguer. Ils évoluent rapidement, s'hybrident facilement, partagent des gènes avec d'autres lignées…». Bref, difficile de les compter et d’établir des listes d'espèces microbiennes en danger - si tant est que ce travail ait même du sens.
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Quelle approche pour protéger les microbes ?
Emma Maris écrit qu’« on ne protège pas des microbes comme on protège des loutres de mer. Une seule espèce ou sous-espèce microbienne est rarement au centre des préoccupations. Il y a beaucoup de "redondance fonctionnelle" dans le monde microbien : si la pollution, le changement climatique ou un herbicide élimine un type de bactéries ayant une certaine fonction (pour le cycle des nutriments, du carbone…), il existe souvent des centaines d'autres types de bactéries remplissant la même fonction. »
Dès lors, « plutôt que de craindre l'extinction d'une espèce de bactéries en particulier causée par le changement climatique ou certaines méthodes agricoles, Redford craint surtout que ces pressions anéantissent ou modifient profondément les communautés microbiennes, avec des conséquences complexes et difficiles à prévoir pour de plus larges écosystèmes ».
Un exemple d’une de ces conséquences : les œufs de truites sauvages sont recouverts d'un mélange complexe de bactéries qui peut provenir de plus d'une douzaine de familles de bactéries différentes. Or le changement climatique, en réchauffant les cours d'eau, vient modifier les types de bactéries vivant sur ces œufs. Ces nouvelles communautés microbiennes présentent des risques de toxicité pour les œufs et donc in fine les truites. Ici, l’exemple se situe encore sur le plan de la protection d’espèces animales, mais il permet à Redford de conclure ainsi : « que vous vouliez protéger les microbes pour eux-mêmes ou non, vous ne réussirez pas dans ce que vous voulez faire si vous ne les prenez pas en compte ».
Plus que sur les espèces de microbes, il s’agirait donc de se concentrer sur les communautés microbiennes. Certains acteurs le font déjà, comme le relate Emma Maris : dans le parc national de Yellowstone, il est interdit aux visiteurs de se rendre dans de nombreuses sources chaudes et geysers, en partie pour protéger les communautés microbiennes qui y vivent. Autre exemple : dans les lacs subglaciaires de l'Antarctique, des écosystèmes microbiens uniques, restés isolés pendant des millions d'années, sont soigneusement échantillonnés en utilisant des méthodes les moins susceptibles de les contaminer avec des organismes vivant au-dessus de la glace.
L’enjeu est maintenant de faire passer à une plus grande échelle cet intérêt pour les microbes dans les sphères de la protection de la nature. Signe que les regards évoluent : en 2023, la « préservation des communautés microbiennes » a été retenue parmi les quinze grands thèmes émergents en protection de la biodiversité à porter à l’attention du grand public et décideurs (thèmes définis annuellement par un panel de scientifiques réunis par la Cambridge University).
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Comment avancer concrètement ?
Redford formule plusieurs recommandations, en précisant que « le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal [adopté en décembre 2022 et considéré par certains comme « l'accord de Paris de la biodiversité »] offre un cadre idéal pour entamer ce travail » :
1/ Il appelle les scientifiques travaillant sur la protection de la biodiversité à reconnaître et embrasser l'importance d’inclure les microbes. « Une étape clé serait que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) renforce l'intérêt pour les microbes dans le cadre de son travail sur les espèces et les écosystèmes » ; même chose pour l’Ipbes. Il s’agit notamment de « considérer que les microbes sont essentiels pour restaurer et régénérer des espèces et des écosystèmes ». Dans cette perspective, les solutions fondées sur la nature devraient leur accorder plus d’attention.
2/ Il invite les acteurs concernés à « s’appuyer sur les travaux existants sur les microbes, issus de domaines qui ne sont souvent pas dans leur radar ». Par exemple, « consacrer des sections ou des numéros spéciaux aux microbes dans les revues de la Society for Conservation Biology serait utile ». De même qu’« inclure des modules sur les microbes dans les cours de biologie de la conservation ».
3/ Elargir l'orientation de la recherche au-delà des seuls microbes pathogènes. « Des travaux prometteurs, tels que l'identification des hot spots mondiaux pour la protection des sols (Guerra et al., 2022), forment une base importante » en ce sens [voir aussi ce projet de cartographier mondialement les réseaux de champignons du sous-sol] ; il faudrait les étendre.
Il conclut ainsi : « Nous sommes engagés depuis des décennies dans ce travail de conservation de la nature avec un profond manque de connaissance du monde microbien. Notre regard s'est trop longtemps dirigé vers les grandes espèces charismatiques et les grands écosystèmes. Or les microbes font aussi partie de la biodiversité que nous sommes si déterminés à sauver. »
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Bribes d’un futur possible
Emma Marris ajoute, dans son article dans The Atlantic : « J'ai demandé à Redford d'imaginer un monde où son appel serait entendu et où les microbes seraient pleinement intégrés dans le travail de protection et de restauration de la biodiversité. À quoi ce monde ressemblerait-il pour quelqu’un protégeant des rivières à truites, par exemple ?
D'abord, répond-il, cette personne serait en mesure d'utiliser un détecteur d'ADN environnemental portatif pour obtenir une image globale des communautés microbiennes, dans l'eau, dans les intestins et les branchies des truites, à la surface des plantes aquatiques, etc.
Ensuite, pour tirer le meilleur parti de ce type d'informations, cette personne devrait développer une compréhension bien plus fine qu’aujourd’hui de la manière dont le monde microbien influence ce que nous pouvons voir au niveau d’une rivière : les saules qui font de l'ombre, les demoiselles qui planent, les truites qui tourbillonnent...
Ainsi, à l’aide de ces données, il pourrait être possible de localiser une souche rare de bactéries dans le cours d'eau à protéger, et découvrir que cette souche a besoin d'eau particulièrement fraîche pour se développer. Un jour, nous planterons peut-être des saules pour ombrager les cours d'eau afin de garder des bactéries au frais. »
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Pour aller plus loin : d’autres exemples et résultats de recherche
Plusieurs raisons peuvent amener à vouloir protéger les communautés microbiennes. Voici ci-dessous des exemples où les microbes peuvent être mis au service d’actions pour la biodiversité et les milieux naturels. Ces exemples montrent aussi que de nombreux chercheurs et professionnels n’ont pas attendu les préconisations de Redford pour agir (…ce qui me semblait important à préciser ici).
Ceci dit, il faut reconnaître que ces exemples restent pour la plupart focalisés sur la vision de microbes comme « outils » pour favoriser la survie d’animaux et de plantes, et non comme éléments naturels à protéger en tant que tels. Redford estime, lui, comme d’autres, que « les microbes sont précieux en eux-mêmes, et que ni la taille ni l'appartenance au règne animal ne déterminent en fin de compte la valeur morale ». Après tout, dit-il, « les microbes sont des formes uniques qui ont évolué au cours de millions d'années, ni plus ni moins que la baleine ou le panda »…
-Aider à dépolluer. Les usines de traitement des eaux usées utilisent déjà diverses communautés de microbes pour nettoyer l'eau, et même dans certains cas pour transformer des eaux usées en bioplastique. Une étude récente a même identifié une bactérie capable de décomposer complètement le plastique en le transformant en dioxyde de carbone.
-Favoriser le taux de succès des réintroductions d’espèces. Mieux prendre en compte les microbes pourrait favoriser la réussite de certaines réintroductions d’espèces. Une partie des réintroductions échoueraient en raison de négligences à ce sujet. Des études montrent par exemple que les animaux en captivité ont souvent des microbiomes très différents de ceux des animaux sauvages de la même espèce.
Comment y remédier ? Une piste est de passer par le régime alimentaire pour influencer le microbiote intestinal, de façon à améliorer la survie d’espèces animales une fois réintroduites à l’état sauvage. C’est ce qu’ont mis en place des chercheurs qui travaillent à la réintroduction de l’esturgeon du Yang Tsé, une espèce de poissons en voie de disparition : ils ont « entraîné » certains de ces poissons à se nourrir d’aliments plus sauvages et non-transformés, pour faire évoluer leur microbiote intestinal. Ces individus ont vu leur taux de survie s'améliorer par rapport à ceux non-entraînés.
« La réintroduction d’espèces est l’une des pratiques les plus importantes pour la restauration de la biodiversité et la conservation des espèces menacées. Pourtant, dans les projets de réintroduction d’espèces, la façon dont l'entraînement au régime alimentaire en début de vie affecte l'adaptation et la survie des individus après la libération reste largement inconnue » écrivent les auteurs.
Leur hypothèse de départ, qui s’est vérifiée dans leurs travaux, était la suivante : « l'entraînement au régime alimentaire en début de vie ajuste la communauté microbienne intestinale de l'hôte ; cette dernière influence à son tour la préférence alimentaire de l'hôte ; cette dernière influence ensuite son adaptation et donc sur sa survie après sa libération ».
Ce résultat s’applique aussi à d'autres animaux, écrivent les auteurs, qui incitent donc les études futures à s’intéresser aux régimes alimentaires des espèces à réintroduire.
-Lutter contre le déclin d’animaux sauvages. Dans un article de 2019 paru dans « Proceedings of the Royal Society - Biological Sciences », au titre explicite (« La biologie de la conservation a besoin d'une renaissance microbienne »), des scientifiques écrivaient déjà : « Les praticiens de la conservation devraient considérer la perturbation de la diversité microbienne associée à un hôte comme une menace sérieuse pour les populations d'animaux sauvages. Pourtant, malgré l'énorme potentiel de la recherche sur le microbiome pour améliorer les résultats en préservation de la biodiversité, peu d'efforts ont été faits pour véritablement intégrer ces domaines ».
Sur ce sujet, pour aller plus loin, vous pouvez accéder sur cette page de la revue « Frontiers in Microbiology » à de nombreux articles de recherche dédiés. Les chercheurs écrivent dans l’éditorial que s’ouvre « un nouveau domaine de recherche en biologie de la conservation, axé sur l'importance des associations hôte-microbiome pour les espèces menacées et pour la protection de la biodiversité ».
-Favoriser la survie de plantes et d’écosystèmes dégradés. Les plantes elles aussi sont peuplées de microbes. De nombreuses plantes dépendent notamment de champignons au niveau de leurs racines pour les aider à absorber les nutriments et l'eau. Une étude montre qu’après un incendie, inoculer certains champignons peut augmenter la survie de nombreuses espèces de plantes.
« Les champignons mycorhiziens peuvent être clés pour améliorer la restauration d’écosystèmes ayant subi de graves perturbations, comme des incendies » écrivent les auteurs de l’étude. « Pourtant, leur application dans les actions de restauration restent encore limitée en raison d’un manque d'informations au niveau local ».
De même, des chercheurs travaillant sur la restauration de prairies dans l'Indiana ont découvert que l'introduction de certaines espèces de champignons lors de la restauration augmente la diversité des plantes d'environ 70 %, ainsi que leur richesse et l'indice de qualité floristique. Ces champignons forment, écrivent-ils, « le chaînon manquant dans la restauration des prairies ».
-Faire face au changement climatique. Sur le site de la revue « Nature Reviews Microbiology », plusieurs articles se focalisent sur les liens entre microbes et changement climatique, dans un sens (comment les premiers jouent un rôle sur le second) comme dans l’autre (les effets du changement climatique sur les communautés microbiennes dans l'océan et le sol, sur les interactions hôte-microbiote…). Dans l’un de ces articles (dont on trouve un compte-rendu en français ici), on lit que « l'impact du changement climatique dépendra fortement des réponses des micro-organismes » aux bouleversements environnementaux.
Les auteurs préviennent : « L’humanité doit prendre conscience que la majorité microscopique ne peut plus être l'éléphant invisible dans la pièce ». « Si on ne prend pas en compte l'importance des processus microbiens, nous limitons fondamentalement (…) notre réponse au changement climatique et compromettons nos efforts pour créer un avenir soutenable ».
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Bonus : « Il est clair qu’un pan entier du vivant nous échappe complètement »
Extraits d’une interview de Laurent Palka (chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle et auteur du livre « Microbiodiversité - Un nouveau regard »), publiée en 2018 sur le site d’Usbek et Rica :
« En 2002, des scientifiques de l’université de Caen se rendent compte qu’une souche bactérienne utilisée par l’industrie du lait (Lactococcus lactis cremoris) se fait de plus en plus rare dans les collections et dans l’environnement. S’en suit la publication du tout premier article appelant à la conservation de la microbiodiversité, un terme employé pour la première fois. Ils vont jusqu’à demander la création de réserves naturelles. Ce qui sera fait 10 ans après en Autriche.
(…) À ma connaissance, l’initiative autrichienne de 2012 est la seule qui ait aboutie. Regardez dans la liste rouge de l’UICN, il n’y a pas un seul micro-organisme !
Certes, certains d’entre eux sont préservés indirectement, en tant qu’acteurs de la restauration des habitats, pour purifier des sols pollués, dégrader du plastique, ou à travers la protection d’un animal ou d’une plante hôte. Lorsqu’on interdit les pesticides, on ne protège pas seulement les abeilles mais aussi les bactéries présentes dans leur tube digestif.
Cependant, protéger les hôtes ne suffit pas, et nous passons à côté de la plupart des micro-organismes essentiels. Peu importe le nombre d’espèces, il est clair qu’un pan entier du vivant nous échappe complètement. En France, nous pourrions commencer par sanctuariser des milieux où l’on étudie les micro-organismes comme certains lacs ou des parcelles de sols. Mais il faudra convaincre les autorités publiques, ce qui n’est pas aisé. Les mentalités doivent changer. L’influence de Pasteur a été tellement forte pendant plus d’un siècle que nous avons encore tendance à considérer les micro-organismes comme des pathogènes dont il faut absolument se débarrasser.
(…) Lorsque j’étais étudiant je considérais une culture de bactéries comme un liquide au fond d’un flacon dans mon laboratoire, rien de plus. Un jour, j’ai dû fixer le CO2 qu’elles produisaient avec de la soude. J’ai alors compris que ces organismes respiraient. Ce n’est qu’à partir de ce moment que ma culture est devenue dans mon esprit tout autre chose : ma vision a alors radicalement changé. Notre conscience du vivant décroît à mesure que l’on descend dans l’échelle des dimensions. Cela montre que le vivant, au-delà des caractéristiques biologiques, est aussi la représentation que l’on en fait. »
J’espère que ce numéro vous a intéressé. Rendez-vous dans une semaine pour la suite de cette série d’été spéciale biodiversité. Les numéros précédents sont disponibles ici. Vous pouvez soutenir mon travail sur ma page Tipeee ici - merci ! Clément