Pierre-Henri Gouyon est biologiste, spécialiste de génétique, de botanique et d'écologie, et professeur émérite au Museum National d’Histoire Naturelle. Il a enseigné aussi à AgroParisTech, Sciences Po, Polytechnique ou encore à l’ENS, et a publié de nombreux articles dans les plus grandes revues scientifiques.
Il a l’habitude de vulgariser les sujets de biodiversité auprès du public. Pour ce numéro, j’ai retranscrit et regroupé les extraits qui me semblent les plus intéressants de deux de ses conférences : l’une tenue en 2022 à la Station Biologique de Roscoff, l’autre organisée il y a cinq ans par des élèves de l’ENS.
Vous allez le voir : Pierre-Henri Gouyon n’a pas sa langue dans sa poche.
« Quand on vous présente la biodiversité, il est de bon ton de vous montrer des images d’animaux aussi sympathiques et jolis que possible, pour vous dire « regardez comme c'est mignon, il faut donc la garder ».
Je déteste cette manière de faire.
Déjà c'est un peu tricher, parce que si on avait choisi d'autres images, comme celles du moustique tigre ou d’autres bien choisies [il montre à l’écran un blobfish, un rat-taupe nu, etc.], on dirait « finalement la biodiversité, c'est quand même moche ». C'est donc un peu manipulatoire.
[Nb : de la même façon, le chercheur Frédéric Ducarme parlait de « peluchisation de la biodiversité » il y a quelques mois dans sa critique du film Avatar (2e volet), pourtant qualifié de « fable écologiste » par une partie de la presse : il pointait du doigt « une sensibilité animalière qui se concentre seulement sur une poignée d’espèces sympathiques et « mignonnes », sensibilité tout à fait louable mais dont la philosophie environnementale s’évertue depuis des décennies à dire qu’elle n’a que peu de rapport avec une approche authentiquement écologiste »].
Mais il y a pire : cette manière de faire conduit à présenter la biodiversité comme une collection de timbres, un ensemble de choses fixes, posées les unes à côté des autres, qu’il faudrait garder. Or la biodiversité, ça n’est pas ça. Et on n'est pas équipé intellectuellement pour le comprendre.
Pourquoi nous ne sommes pas équipés intellectuellement pour comprendre la biodiversité
En fait, cette approche se réfère à une vision du monde ancienne et qui s'est fixée vraiment au XVIIIe siècle.
Un grand naturaliste du XVIIIe siècle, le suédois Carl Linné, a produit le premier système permettant d'ordonner la biodiversité : le système de la nature. Linné regroupe les espèces en genres, familles, en ordres, en classes…puis il crée, dans les espèces, des catégories plus petites avec les sous-espèces, les races, les genres, etc.
Il le fait sur une base théorique très claire : « Toutes les espèces tiennent leur origine de leur souche, en première instance, de la main même du Créateur Tout-Puissant, car l'Auteur de la Nature, en créant les espèces, imposa à ses créatures une loi éternelle de reproduction et de multiplication dans les limites de leur propre type » (1737).
Cette vision du monde n’est bien sûr plus la nôtre aujourd’hui mais je voudrais vous dire à quel point elle impacte notre culture. Cette phrase contient beaucoup d'informations, à commencer par l’idée que « les espèces ont été créées », qu’« elles sont éternelles » et « se multiplient dans les limites de leur propre type », c'est à dire qu'elles sont immuables : c’est une vision parfaitement fixe d’un monde immuable dans lequel les humains sont installés dans un monde fabriqué une fois pour toutes et qui n’évolue pas.
En France bien sûr le créationnisme existe très peu. Mais même les gens qui ont bien compris qu'il y avait eu une évolution ont tendance à voir le monde comme un système stable qui ne bouge pas ; or je pense que cette vision est très préjudiciable à notre compréhension de la biodiversité.
Nous avons tous entendu parler d’Adam et Eve avant d'entendre parler de Darwin. Nos structures mentales se fabriquent quand on est petit : on entend parler du paradis et d'Adam et Eve même dans une famille athée. Le résultat ? Cette vision d'un monde idéal ancestral est une vision qui pénètre totalement notre société et tous les groupes. Je suis stupéfait du nombre de gens qui veulent défendre l'écologie au nom d’un retour à un supposé équilibre initial, alors qu’il n'y a pas d'équilibre initial – en tout cas pas dans ce sens-là : on ne peut pas retourner à un équilibre ancestral. Et ça, on l'a compris grâce à Darwin au XIXe siècle.
« Si vous voulez comprendre la biodiversité… »
En 1859, Darwin propose la théorie de la sélection naturelle qui explique comment se fabrique la biodiversité.
Au milieu du XIXe siècle, on comprend que les êtres vivants sont des êtres qui ont une caractéristique étonnante : ils se reproduisent en faisant des descendants, qui ont certes tendance à leur ressembler mais qui sont tout de même tous différents. Cette caractéristique permet une chose remarquable : la sélection naturelle. Comme les descendants sont tous différents, certains vont mieux réussir que d'autres dans leur milieu ; les caractéristiques de ceux qui auront réussi vont se maintenir dans les générations suivantes ; les populations vont évoluer mais en plus diverger.
Darwin va résumer ses idées dans un schéma. Si vous voulez comprendre la biodiversité c'est à cela qu'il faut que vous pensiez, et non pas aux petites images d’animaux sympathiques. Je vais donc prendre deux minutes pour vous l'expliquer.
Sur ce schéma, le temps va de bas en haut et est divisé en couches temporelles successives, les plus basses étant les plus anciennes (…Darwin était géologue au départ, ce qui explique ce choix de représentation).
L’axe vertical est donc le temps, et l'axe horizontal est l’axe de différenciation écologique : plus deux points sont proches sur le schéma, plus ils sont proches écologiquement.
Partons d’une forme A (la lettre A en bas à gauche) : comme cette espèce se reproduit, elle engendre des dessins différents. De la diversité apparaît donc : à partir d'une même lignée, vont se fabriquer constamment des petites nouveautés.
Puis cette diversité va progressivement varier : en effet comme ces petites nouveautés sont très proches écologiquement, elles rentrent fortement en compétition les unes avec les autres et ne peuvent pas coexister. Il y en a une qui va éliminer l’autre. Beaucoup vont donc s'éteindre. Celles qui vont le mieux résister sont celles sur les bords, parce que celles-ci souffrent moins de la compétition : elles sont moins en conflit avec les voisines. Résultat : les lignées ont tendance à s’écarter au cours du temps. En répétant ce processus de nombreuses fois, les formes intermédiaires s'éteignent, les formes extérieures se développent, et les lignées divergent. Et c’est ainsi que se produit de la biodiversité.
L'extinction fait donc partie du système : s'il n'y avait pas d'extinction il n’y aurait pas d'espèces, parce qu'il y aurait tous les intermédiaires entre tous les individus. C'est l'extinction qui dessine la biodiversité, grâce au fait qu'il y a divergence et que les formes qui s'éteignent sont souvent intermédiaires.
Quand vous pensez à la biodiversité, c’est à ce schéma que vous devez penser, et pas à la collection de timbres de tout à l’heure.
Malentendus sur la notion d’espèces
Il y a une autre chose à avoir en tête si on veut comprendre ce schéma - et donc la biodiversité. Si on part d'un endroit du schéma et qu’ensuite on a deux espèces, il existe un moment intermédiaire où on est dans une zone de flou : on n’a pas encore deux espèces mais on n’a déjà plus la même chose. On va donc employer des mots comme races ou sous-espèces pour les désigner.
Et puis, au fur et à mesure que les lignées s’écartent, à un moment donné on va décider de les appeler « espèces ». Et ça, c’est une décision arbitraire dans 90% des cas. On aimerait bien que les lignées soient définitivement séparées ; en réalité on les appelle espèces quand on trouve qu'elles sont suffisamment différentes.
Cette concentration sur l'idée d'espèces chez les biologistes est certainement un frein à la compréhension de ce que je suis en train de vous raconter. Moi ce que je voudrais vous convaincre, c'est que l'idée d'espèces, le fait qu'on pense toujours en espèces, est une survivance de la Genèse et de la Bible. Si on était des bons biologistes on penserait à quelque chose de beaucoup plus continu ; on penserait à cet arbre de Darwin, et on ne penserait pas tout le temps la diversité en termes d'espèces.
Darwin lui-même a essayé de s'attaquer au problème : il dit qu'on n'a pas trouvé de différences entre les espèces et les sous-espèces, ni entre les sous-espèces et les variétés, ni entre les variétés et les différences individuelles. « Ces différences se fondent l'une dans l'autre par des degrés insensibles », écrit-il.
Un an après avoir publié « L’Origine des espèces » (son grand livre dans lequel il explique ses idées en 1859), il se rend compte qu'il n'arrive pas à convaincre ses contemporains. Il écrit à un ami en 1860 : « Je suis souvent désespéré [d’essayer] d’obtenir que la majorité des naturalistes simplement me comprennent. Des gens intelligents, qui ne sont pas des naturalistes et qui n’ont pas une vision bigote du terme « espèces », montrent plus de clarté d’esprit ».
« Bigote », c'est bien lui qui dit le mot. Il y a quelque chose de religieux dans cette volonté de tout fonder sur l'espèce. Ce n’est pas comme ça qu’il faut voir la biodiversité.
En réalité, le mot espèce n’est pas très clair. On l’emploie à tort et à travers, le plus souvent pour désigner autre chose qu'une espèce - parfois pour désigner un représentant d'une lignée évolutive, parfois pour désigner les membres d'une population...On n'arrête pas d'employer « espèce » de façon fausse ; on est incapable de se sortir de ce truc-là.
Comme je vous le disais, on est dans une culture qui part de la Genèse et qui voit le monde de façon stable. L'enseignement des SVT est fait pour vous rendre créationniste : on vous présente tout le vivant, sans toujours expliquer que pour en arriver là ce vivant s’est transformé. On vous dit par exemple : les espèces c'est facile, ce sont des individus qui se croisent entre eux, pas avec les autres. Mais ceux qui disent ça sont des gens qui n’ont jamais vraiment travaillé sur les espèces !
Parce qu’en vrai, les espèces, ça n’arrête pas de faire des trucs « interdits »…Regardez cette photo par exemple :
De la même façon, il y a 50 ans on pensait que les tigres et les lions ne pouvaient pas se croiser, parce que ce sont des espèces différentes. Sauf qu’il y a une trentaine d’années, les lions et les tigres ont commencé à faire ensemble des petits dans des zoos.
Ce qui est drôle c’est que lorsque les premiers hybrides sont sortis, l'aspect religieux est ressorti tout de suite : la plupart des biologistes ont dit qu’ils allaient être stériles. Sauf que…non, ils n’ont pas été stériles : il y a un des sens de croisement où ça marche très bien, et aujourd’hui on en est à une nouvelle génération. C’est pareil pour les chevaux, les ânes, les zèbres : vous pouvez faire des croisements dans tous les sens. Il y a des mulets qui sont stériles, d'autre pas.
J'aime bien celui-là [il montre une photo à l’écran] : c'est un hybride chèvre mouton. Pourtant les chèvres et les moutons ne sont pas seulement des espèces différentes : c'est même plus que des genres différents. Eh bien cet hybride est fertile…
Les trois leçons à garder en tête
Arrêtons donc de raconter des mensonges aux enfants : une espèce, ce n'est pas un groupe d'individus qui se reproduit entre eux plutôt qu’avec les autres. Une espèce, c’est un groupe d'individus qui appartient à une branche de l'arbre de Darwin, qui est suffisamment différente des autres pour qu'on ait envie de lui donner un statut. C'est tout. C'est arbitraire. Il faut l’accepter.
L’autre leçon, c’est qu’il faut sortir de cette vision où on voudrait mettre la nature dans des cases et que ces cases soient étanches. C’est une vision fausse. En fait, en remettant de l'évolution dans le système, on a refabriqué une autre vision de la création où on laisse entendre : « l'évolution remplace le créateur, elle a fabriqué toutes les espèces, et puis à la fin on arrive à l'homme ». Comme si c'était nous le point final. Sauf que non…la dernière espèce apparue sur Terre, ce n’est pas les humains, c'est le moustique du métro londonien, à notre connaissance [Nb : cet extrait date d’une conférence de 2018].
Dernier point important : la biodiversité n’a rien de stable, comme le montrait déjà Darwin. L'évolution n’est pas finie : elle continue. On est toujours dans le mouvement donc nous sommes toujours dans une dynamique évolutive. J'ai vu des gens qui croyaient qu'ils parlaient d'évolution alors qu'en fait ils parlaient de création ; ils avaient juste remplacé le mot créateur par le mot évolution. Ils disaient : « l'évolution a créé les espèces », sous-entendu « ça y est, c'est fait, c'est fini ». Le meilleur c'est quand ils rajoutent « et à la fin elle a créé l'homme »…
Dès lors il n'est pas question de conserver ce truc-là [il montre à l’écran le schéma de Darwin]. Ce qu'on peut conserver, c'est la dynamique du système, où il y a d'un côté des extinctions et de l'autre des divergences. Ce qui crée la biodiversité, c’est cette dynamique très complexe dans laquelle il y a constamment production de nouveautés, extinction des formats intermédiaires et donc divergence des formes qui restent.
La biodiversité n’est ni un équilibre stable, ni un équilibre instable
Existe-t-il un équilibre de la biodiversité ? Cela dépend ce que vous appelez équilibre.
Il y a des gens qui voient la biodiversité comme un équilibre stable : ils pensent que si jamais on va trop loin, elle va tomber. Mais ce n’est pas du tout ça la biodiversité. Ce n’est pas non plus un équilibre instable. C’est un équilibre dynamique, qui se maintient par un mouvement constant. Un cycliste sur son vélo se maintient parce qu’il avance. Si on l’arrête, c’est là qu’il tombe. La biodiversité, c'est la même chose : si vous voulez la conserver en l'empêchant de bouger, vous allez juste la détruire. Si vous croyez que la mettre au frigo, c'est la sauver, non ! [Il fait ici référence aux projets de « banques de gènes » pour les stocker dans le froid, dont la plus emblématique est située en Norvège].
Actuellement, on n'est pas dans un équilibre stable qui est perturbé et qu'il s'agirait de remettre à sa place. On est dans une dynamique qui s'effondre.
Comment cet effondrement se manifeste-t-il le mieux ? Ce n’est pas par le nombre d'espèces qui s'éteignent : ça, c'est une sorte d'à côté. Le plus parlant actuellement c'est de voir qu’en trente ans 75% de la biomasse d'insectes volants a disparu dans les zones protégées européennes. En trente ans, 75% de disparition de biomasse : ça, c'est un effondrement ; ça, c'est la spirale d'extinction. On est dans une situation d'effondrement incroyablement rapide : on est en train d'aller à toute vitesse.
Pour revenir sur l’idée d’équilibre dynamique : au fond on a déjà tous une perception de cet équilibre dynamique de la biodiversité, avec notre propre corps. Nous sommes nous-mêmes en équilibre dynamique avec l'environnement : nous mangeons, nous excrétons, nous respirons, et c'est ce qui fait ce qu'on est.
Imaginez que quelqu’un vous dise : « je t'aime, je veux te conserver, je vais te mettre au frigo » : vous ne seriez pas d'accord. Eh bien il ne faut pas faire ça la biodiversité non plus. Comprenez bien que ceux qui vous disent qu'ils vont conserver la nature au frigo sont en train de faire exactement ça ; il ne faut donc certainement pas les laisser faire. Pour que la biodiversité soit vivante, il faut qu'elle avance. Einstein l’avait déjà dit : « la vie c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre ». Puisque la biodiversité est un système dynamique, on ne la conservera que si on laisse le fonctionnement de ce système exister.
Or aujourd’hui le moteur de la biodiversité est en panne. Et là où c'est ultra visible, c'est dans les systèmes agricoles.
Faire face à l’effondrement de la biodiversité génétique en agriculture
(…) Dans les systèmes agricoles, on est en train de mettre sur des millions d'hectares les mêmes variétés, les mêmes génotypes. Et ça, on sait bien que c'est dangereux, parce que si jamais une maladie se répand et s’habitue à ces variétés, elle va complètement démolir nos cultures.
[Nb : Dans d’autres conférences, il explique bien que « cette homogénéisation des plants et des semences conduit à l’emploi de doses de plus en plus démentielles de pesticides », ce qu’il qualifie de « problème numéro 1 » pour la biodiversité].
On peut imaginer, si on continue à perdre de la diversité à la vitesse actuelle dans le système agricole, que d'immenses famines voient le jour parce que des maladies rares attaquent les cultures. Nous avons donc une responsabilité lourde vis-à-vis des générations futures - peut-être très proches - de remettre en œuvre de la biodiversité dans l'agriculture. Or ce n’est pas du tout ce qu’on fait actuellement.
Une poignée d’entreprises sont en train de prendre la possession de toutes les ressources génétiques de la planète, de toute la biodiversité cultivée – on peut parler de guerre des semences. C’est hyper dangereux parce qu'elles ne conservent aucune diversité dans ce système.
Comment sauver la diversité génétique des plantes cultivées ? Certains veulent mettre des graines dans un frigo, en Norvège. C'est une vaste foutaise, d'autant que ce frigo n’est pas un frigo mais juste une mine dans un endroit où il fait très froid. Or il fait de moins en moins froid et de l’eau a commencé à couler dans la mine…En fait, on a fait fabriquer un immense cimetière de graines. Evidemment les graines en question seront mortes d'ici peu : c'est juste une banque d'ADN. Et à qui pourrait servir une banque d'ADN ? Aux groupes de biotechnologie qui sont justement en train de tout homogénéiser.
Mais il y a une autre approche possible : faire une agriculture qui fabrique de la diversité [ce qui répondrait au manque de résistance due à l’homogénéisation, et donc par là même à l’usage massif de pesticides]. L'agriculture de demain devrait être capable de reproduire de la diversité : on a produit de la diversité dans l'agriculture pendant 10 000 ans, et en 100 ans on a tout foutu en l'air, depuis qu'on a industrialisé l'agriculture. Il y a moyen de refabriquer de la diversité, de remettre en œuvre dans les champs ce processus darwinien, mais ça commence à devenir un petit peu pressé. »
(Propos de Pierre-Henri Gouyon extraits et retranscrits de sa conférence à la Station Biologique de Roscoff en 2022 et de sa conférence aux Ernest de 2018)
Bonus : Dépasser les idées reçues sur l’évolution
La théorie de l’évolution suscite parfois des incompréhensions. Or “comprendre l’évolution, c’est se donner les moyens de protéger efficacement la biodiversité”, comme l’explique le chercheur Guillaume Lecointre sur le site du Muséum national d’Histoire naturelle. Les lignes suivantes reviennent sur plusieurs idées reçues sur le sujet ; elles sembleront basiques à beaucoup d’entre vous mais il n’est jamais inutile de les rappeler. Elles sont issues d’un bon fil de vulgarisation publié sur Twitter ; les citations viennent donc de l’auteure de ce fil (Locuste).
« On connaît tous cette image : c'est l'une des plus célèbres illustrations scientifiques de l'histoire. On l’appelle « La marche du progrès ». Pourtant, elle contient et suggère de nombreuses erreurs, qui nuisent à la bonne compréhension de la théorie de l'évolution.
La première, c'est de laisser croire que l'évolution jusqu'à l'homme, depuis son lointain ancêtre, a été linéaire. Qu'il n'a existé eu qu'un seul chemin évolutif. Il n'y a rien de plus faux ! En réalité l’évolution se présente bien davantage sous la forme d’un arbre buissonnant [cf explications données plus haut].
(…) Deuxième point : contrairement au récit véhiculé par cette illustration, l'homme ne descend pas du chimpanzé mais partage avec lui un ancêtre commun. L'Homo sapiens ne descend pas non plus de l'Homo neanderthalensis (Néandertal). Ces deux humanités sont en fait des cousines qui possèdent également un ancêtre commun.
(…) Surtout, cette illustration suggère que l'homme est la quintessence, et peut-être le point final, de l’évolution. C’est là une vision déformée, et résolument anthropocentrique de la nature. » Comme le rappelle le Museum d’Histoire Naturelle dans un article sur son site, « aucune espèce n’est supérieure ou plus évoluée qu’une autre. Tous les êtres vivants évoluent et ce degré d’évolution n’est pas quantifiable. »
Le fil développe ensuite un exemple intéressant, et souvent cité : l’histoire de la phalène du bouleau, une espèce de papillon nocturne qui vit sur les troncs de bouleau.
« Il existe deux variétés différentes de ce papillon : des blancs et des noirs. Mais au cours de la période d'industrialisation qu'a connu l'Angleterre au XIXe siècle, des matières polluantes (la suie, entre autres) ont commencé à se déposer sur les troncs d'arbres. Ce petit changement a offert un précieux camouflage aux papillons noirs, tandis que les blancs, eux, sont devenus très repérables, de sorte qu'ils ne pouvaient plus, ou beaucoup moins, échapper à la vigilance des prédateurs.
Résultat : la population de papillons blancs s'est mise à décroître, en même temps que la proportion de noirs, bien à l'abri, augmentait. Peut-être alors que les blancs auraient fini par s'éteindre.
Mais c’était sans compter sur un nouveau rebondissement, survenu quelques années plus tard : après l'instauration d'une politique moins polluante, les troncs d'arbres se sont de nouveau éclaircis, profitant cette fois-ci aux papillons blancs, qui sont alors redevenus majoritaires.
Au moins deux leçons peuvent être tirées de cette histoire.
D’abord, il faut à tout prix éviter d'amalgamer la sélection naturelle avec une loi du plus fort qui ne dit pas son nom. Loin de s'appuyer uniquement sur des facteurs intrinsèques, la sélection naturelle repose en effet sur l'interaction continue entre une espèce et son milieu.
Si, dans certaines conditions, une population A est favorisée par rapport à la B, un nouveau contexte peut très bien renverser la vapeur. Il est donc impossible de hiérarchiser les papillons blancs et noirs : leur succès va dépendre des circonstances (ce qui vaut également si on essaie de comparer deux espèces différentes). Il n'y a donc pas de mieux, de meilleur ou de supérieur dans la nature.
Ensuite, il ne faut pas tomber dans le piège de réduire la sélection naturelle à la seule question de la survie. En réalité, ce qui importe d'un point de vue strictement évolutif, ce n'est pas tant la survie (à condition bien sûr d'arriver à l'âge adulte !) que le succès reproductif. La survie en tant que telle ne sert à rien si elle ne débouche pas sur la transmission des gènes, seule moyen d'assurer la pérennité de ses caractères au sein de l'espèce. »
Cette série d’été spéciale biodiversité se poursuit la semaine prochaine, avec d’autres angles abordés par d’autres spécialistes. D’ici là, vous pouvez retrouver ici les numéros précédents de Nourritures terrestres, et soutenir mon travail sur ma page Tipeee ici. A très bientôt ! Clément
J’ai eu la chance d’avoir JM Gouyon en prof et je retrouve en tout point son ton et son propos merci pour cette lecture en ce dimanche d’été
Je connaissais déjà la juste vision de l'évolution par l'image du buisson (Musée des confluences de Lyon) mais le propos d'henri Gouyon est plus dérangeant encore vis à vis de notre vision traditionnelle ; dominante mais fausse.