Je vous propose ci-dessous sept idées de cadeaux, et plus précisément sept livres, liés chacun à leur manière aux questions écologiques, à (s’)offrir pour Noël ou toute autre occasion.
Il s’agit simplement de livres qui m’ont plu et qu’il m’est arrivé de recommander ces derniers mois. Ce n’est donc absolument pas « la liste ultime » de livres sur l’écologie, et il n’y a d’ailleurs ici aucun ouvrage de vulgarisation sur le climat, telle que la dernière BD de JM Jancovici, déjà très médiatisée et qui sera certainement déjà sous bien des sapins. J’ai préféré mettre en avant des lectures qui me semblent mériter d’être mieux connues, ou qui proposent d’autres regards que ceux déjà bien relayés. Ces livres ne plairont pas forcément à tous notamment en raison de leurs partis pris, mais c’est justement ce qui les rend intéressants à mes yeux, car ces partis pris permettent d’interpeller, de stimuler la réflexion, de considérer certains sujets sous d’autres angles, et finalement d’ouvrir le débat.
Un essai : “Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce”, de Corinne Morel Darleux (2019)
Comment parler de ce livre sans en faire trop, alors que la démarche de Corinne Morel Darleux est justement toute en humilité et qu’elle ne prétend en rien réinventer la roue ? Il ne faut effectivement pas se plonger dans ce court essai pour apprendre quelque chose de « nouveau » - mais plutôt pour y découvrir une façon de s’orienter dans sa vie personnelle face au désastre écologique en cours, et de trouver des réponses à cette question que beaucoup se posent : « que fait-on une fois la prise de conscience passée et les initiatives d’actions personnelles déjà enclenchées ? ». Corinne Morel Darleux apporte une réponse simple mais claire, en un triptyque que je vous laisse découvrir. Une philosophie de vie pour celles et ceux déjà sensibilisé(e)s aux sujets écologiques.
Comment en parler, donc ? Peut-être simplement en disant qu’il a été mon coup de cœur sur les sujets écologiques de ces dernières années, et que plusieurs conversations m’ont fait comprendre que ce ressenti est partagé par de nombreux lecteurs. A partir de l’histoire du navigateur Bernard Moitessier, et en évoquant tour à tour différentes sources d’inspiration, des lucioles de Pasolini aux Racines du ciel de Romain Gary, ce petit livre, à la plume élégante et empreint de poésie, de philosophie, d’humanité et de sensibilité, se lit facilement et continue de grandir par bouche à oreille. Je pense qu’il est loin d’être au bout de son chemin. Ce numéro est l’occasion de le remettre en avant, comme d’autres l’ont fait avant moi. Souhaitons lui bonne route !
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Une enquête sous forme de BD : “Algues vertes, l'histoire interdite”, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove (2019)
« Documenter l’histoire des algues vertes, c’est raconter celle de l’agriculture en Bretagne » (Inès Léraud). C’est une BD qui a déjà fait beaucoup parler mais que je n’avais pas encore pris le temps de lire jusqu’à récemment ; après coup, j’ai réalisé que je n’avais pas pris la mesure de cette affaire. Plus qu’intéressante, cette grande enquête d’investigation est édifiante. Difficile de ne pas être frappé et révolté par ce scandale et toute l’omerta décrite dans ce travail essentiel. Très documentée, soutenue par un beau dessin, cette BD se lit facilement, comme un polar, et décortique les rapports de force complexes, tendus, entre dirigeants politiques, lobbys agricoles, écologistes et citoyens. A lire, à offrir et à faire circuler.
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Un dialogue : Ishmael, de Daniel Quinn (1992, réédité en français en 2018)
Ce livre, paru en 1992 et réédité en France il y a peu, est un ovni. Sorte de fable philosophique, il est construit sous la forme d’un dialogue entre un homme et un gorille : le second amène le premier à s’interroger sur la domination de l’homme sur le reste du vivant. Peu connu en France, il est considéré comme culte par une partie de ses lecteurs (tout en laissant d’autres lecteurs plus critiques sur le fond ou sur la forme). Il fait partie de ces rares œuvres capables de faire changer certains de point de vue sur des sujets fondamentaux (en l’occurrence la place de l’homme sur Terre), comme ont pu le faire ces dernières années en France le premier livre de Pablo Servigne (sur la fragilité de nos sociétés), ou les conférences de JM Jancovici (sur les questions énergie-climat).
Malgré des aspects qui m’ont moins plu (ton doctoral, passage problématique sur la surpopulation, certaines références à la religion), j’ai trouvé ce dialogue remarquable par la façon dont il est mené. Convaincu qu’il ferait une excellente pièce de théâtre pour faire passer des idées fondamentales auprès de publics adultes et jeunes, je m’étais renseigné pour avancer en ce sens avant de découvrir que les droits ont été cédés à une maison d’édition vendue ensuite au conglomérat américain WarnerMedia, au sein duquel nul n’a trouvé de représentant prêt à discuter des droits, selon la femme de l’auteur (lui étant décédé).
Ishmael n’est pas tant intéressant pour ses idées (désormais pour la plupart assez basiques trente ans après sa sortie pour toute personne sensibilisée à l’écologie) que pour le processus via lequel ces idées sont amenées et déroulées : c’est LE dialogue socratique par excellence pour démontrer, parfois par l’absurde, la fragilité d’idées qui forment la base de la mythologie de nos sociétés - par exemple l’idée que l’homme conquiert et domine le monde (forêts, déserts, océans, etc.) parce que celui-ci lui appartient, qu’il peut légitimement en faire ce qu’il veut, qu’il doit lui imposer sa loi car ce n’est qu’ainsi qu’il devient pleinement humain, etc.
C’est aussi, en creux, un livre intéressant pour interpeller sur les mythes, et montrer que nos sociétés qui se pensent comme très rationnelles en sont encore très imprégnées, avec des conséquences très concrètes sur la façon, par exemple, dont est gérée la “question écologique”. L’auteur établit d’ailleurs (en 1992, donc) un parallèle entre la croyance en la supériorité naturelle de l’homme sur le reste du vivant et la croyance, jadis, qui faisait de l’homme le centre de l’univers.
Quelques extraits :
« Selon notre mythologie, l’homme est une exception biologique. Ne faisant aucun cas des millions d’autres espèces, une seule est considérée comme un produit fini. L’homme se tient là, seul, unique et définitivement séparé de tout le reste ».
« Nous ne détruisons pas le monde par simple maladresse. Nous détruisons le monde parce que nous sommes, au sens propre du terme, en guerre contre lui ».
« La diversité est progressivement détruite dans le seul but de contribuer à l’expansion d’une seule espèce ».
« Chaque fois que notre culture élimine une autre culture, elle fait disparaître du monde, sans recours possible, une sagesse qui a fait ses preuves depuis la naissance de l’humanité. De même, chaque fois que notre civilisation élimine une forme de vie qui a fait ses preuves depuis la naissance de la vie, cette forme de vie disparaît du monde, sans recours possible ».
« La diversité est un facteur de survie pour la communauté elle-même. Une communauté de cent millions d’espèces est plus susceptible de survivre à une catastrophe. Or la diversité est précisément ce qui est menacé dans ce monde puisque chaque jour, des douzaines d’espèces disparaissent de la surface du globe, conséquence directe de notre manière de vivre ».
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Une BD : “La recomposition des mondes”, d’Alessandro Pignocchi (2019)
J’ai déjà parlé d’Alessandro Pignocchi dans le numéro “L’écologie peut-elle faire rire ?” pour ses BD originales et drôles (si l’on aime l’humour absurde !). Cette fois-ci, il est question de son immersion au sein de la ZAD de Notre Dame des Landes, racontée dans son excellente BD “La recomposition des mondes”, très bien dessinée. A la façon d’un reporter, et toujours avec son humour caractéristique et son prisme d’anthropologue disciple de Descola, Pignocchi nous plonge au cœur de la vie du bocage, y compris dans ses moments tendus comme lors de la violente tentative d’évacuation en avril 2018. Le parti pris est clair et l’auteur ne s’en cache pas ; il nous invite à reconsidérer nos éventuels présupposés sur ces formes de luttes écologiques, qui s’avèrent, de fait, décisives pour faire dévier des décisions contraires aux engagements pris sur le climat, la biodiversité et les sols (la mobilisation à Notre Dame des Landes est justement celle qui a permis d’éviter la construction de l’aéroport en question).
Cette BD est donc intéressante parce qu’elle présente un regard différent des représentations habituelles sur ce qui s’est passé là-bas. C’est l’occasion ici de citer deux points de vue sur l’expérimentation de Notre Dame des Landes qui vous donneront, peut-être, l’envie de découvrir le travail de Pignocchi :
Alain Damasio, dans un entretien à Reporterre : “Il faut qu’on passe par des expériences de vie autre : habiter, manger, travailler, échanger autrement comme sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Éprouver au quotidien ce qu’est une économie du gratuit. Ce que c’est de s’endormir au chant des grenouilles et de se lever avec celui des moineaux. Il faut qu’on expérimente et que ça descende dans nos corps. Je crois aux imaginaires, mais rien ne remplace l’expérience réelle dans un cadre où l’on coupe son bois pour faire la charpente d’un hangar commun. Le grand enseignement de la Zad, c’est qu’on a besoin d’un territoire, d’un terrain où les gens puissent s’installer de façon relativement durable. Alors, on peut faire changer les choses. [Il s’agit de] montrer que c’est possible. Un territoire où les gens passent et disent : « Ah ! je me sens bien ici, et c’est fort. J’aimerais trop vivre comme ça. » C’est le désir qui change le monde, plus que les idées, aussi belles soient-elles.”
Frédéric Lordon, dans son essai “Vivre sans” : « Il est paradoxal que les discours qui ne cessent de célébrer l’« innovation », donc la possibilité d’expérimenter, interdisent toute expérimentation hors de son ordre. Ce qui s’est passé à la ZAD en est la plus récente et la plus spectaculaire illustration. Qu’il se soit posé un problème juridique autour de la propriété collective, c’était une excellente nouvelle : celle de l’opportunité d’une innovation, précisément. On remarque alors que le néolibéralisme a son idée bien à lui des innovations opportunes et des innovations importunes. »
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Une enquête sous forme de BD : “Le choix du chômage”, de Benoît Collombat et Damien Cuvillier (2021)
Le livre qui m’a le plus bluffé de 2021. C’est une lecture foisonnante, parfois exigeante, mais très didactique, construite comme une enquête policière, nourrie par une série d’interviews qui s'entrecroisent, et mise en valeur par un bon dessin. Elle vise à expliquer comment la France a fait le choix du chômage de masse, en recontextualisant les choix économiques des dirigeants politiques français depuis 50 ans, avec leurs conséquences encore très actuelles. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on en a pour notre argent. Benoît Collombat, journaliste à la cellule investigation de Radio France, a mené avec le dessinateur Damien Cuvillier un très grand travail de documentation et de mise en récit, appuyé par de nombreuses sources et entretiens avec des acteurs de l’intérieur (anciens ministres, conseillers de présidents de la République, anciens directeurs du Trésor ou du FMI…) et de l’extérieur (économistes comme Gaël Giraud et Bernard Maris, juristes, sociologues, etc.).
Il faut être clair : c’est un travail très orienté, qui assume sa critique frontale du néolibéralisme, et qui est donc loin de faire consensus. Il ne s’agit donc pas d’y voir “la” vérité mais une certain point de vue. Les auteurs donnent d’ailleurs la parole à Pascal Lamy et Alain Minc qui viennent défendre un point de vue opposé. Mais c’est une très bonne lecture pour créer le débat, tester la solidité de ses propres convictions si elles ne rejoignent pas celles des personnalités interrogées, et faire (re)découvrir des pans entiers de notre histoire politique et économique, avec un prisme qui n’est souvent pas pris en compte dans les récits dominants. Pour ma part, j’ai pris…13 pages de notes !
Pourquoi en parler dans cette liste ? D’abord parce qu’il est clair que les théories économiques « mainstream » portent une part de responsabilité dans la situation écologique actuelle (cf le récent papier de recherche synthétisé dans le numéro « Climat : comment expliquer l’échec depuis 30 ans ») et qu’on ne pourra pas réussir la nécessaire “redirection écologique” sans remettre en cause tout ou partie de ces théories. Cette BD apporte sa contribution en ce sens ; charge à ceux qui ne partagent pas ses idées de défendre leurs points de vue de façon aussi documentée.
Mais aussi pour une raison démocratique, directement liée à la transition écologique puisque celle-ci implique de trancher entre différents choix de société : comme l’expliquent les auteurs, “à travers ce livre, nous espérons que les questions économiques, souvent confisquées par certains « experts », arguant du fait que ces sujets seraient trop compliqués pour la majorité des gens, alimentent à nouveau le débat démocratique. Nous voulons déconstruire cette idée selon laquelle l’économie est une science exacte sans alternatives possibles, et démontrer qu’il revient à chacun de s’en emparer de manière démocratique car, derrière les théories économiques, nous parlons bien de choix de société”.
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Un roman français : “Nature humaine”, de Serge Joncour (2020)
Le roman de l’évolution de l’agriculture et de la société française dans le dernier quart du XXe siècle. En 400 pages, en enjambant les décennies, Serge Joncour retrace, à partir d’une ferme du Lot, le quotidien d'éleveurs, d'agriculteurs, maraîchers sur plusieurs générations et brosse ainsi le portrait d’une France rurale entre 1976 et 1999 avec toutes ses transformations.
La force de ce récit est de relier local et global, destins individuels et grands événements nationaux. C’est un roman à l’écriture simple, sans lyrisme, qui se lit facilement, tout en étant foisonnant sur le fond, à la fois saga familiale, agricole et amoureuse, fresque historique et sociologique, sur fond de bouleversements politiques et économiques avec la montée de la mondialisation, et de catastrophes naturelles, de la grande sécheresse de 1976 à la tempête de 1999.
En filigrane, l'auteur souligne les dérives du système productiviste qui a poussé les paysans à s'endetter pour s’agrandir, se moderniser, et ce terrible engrenage aux conséquences humaines et écologiques maintenant bien connues. C’est donc, aussi, un roman pour comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là, et inviter chacun à se mettre dans la peau de nos agriculteurs à qui on demande aujourd’hui une redirection nécessaire mais difficile.
Un extrait :
Édouard ne dit plus rien. Il ne s’était jamais figuré cela en roulant sur une autoroute, il n’avait jamais pensé aux milliers de petits désastres que ça avait dû occasionner, chaque kilomètre d’autoroute recouvrait mille drames, des fermes coupées en deux, des exploitants expulsés, des forêts déchirées en deux et des maisons sacrifiées, des chemins coupés net et des rivières détournées, des nappes phréatiques sucées… Alors il en resta là, mais surtout il ravala la réflexion qu’il s’était faite tout le long de l’interminable nationale 20, et ensuite en roulant sur ces petites routes, parce que c’était tout de même un sacré parcours de venir depuis Paris jusqu’ici, et une autoroute ça ne ferait pas de mal à la région, voilà ce qu’il s’était dit.
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Un roman étranger : “Dans la forêt”, de Jean Hegland (1996, traduction française 2017)
Le grand intérêt de cette fable écologique, récemment traduite en français plus de vingt ans après sa parution, est de traiter un sujet a priori éculé - une société qui s’est effondrée, où les institutions ne sont plus en mesure de fournir de l’électricité, de l’essence, des moyens de communications modernes, etc. - de façon bien différente des récits post-apocalyptiques habituels, qui ne sont personnellement pas ma tasse de thé. Ici, pas de surenchère d’action, pas de science-fiction, de météorites, de mutants…
C’est un roman d’anticipation, dont la particularité est de ne pas expliquer les événements qui se sont produits pour mener à une telle situation : ce choix narratif original rend le récit plus universel, et permet à la fois de stimuler notre imagination et de recentrer l’histoire sur les préoccupations des deux personnages, deux sœurs adolescentes dont on suit la relation tout au long du récit et qui vivent en bordure de forêt. C’est là que tout le livre se passe, dans un huis clos saisissant. C’est un roman du repli, de la résistance, de l’acceptation de la perte du monde d’avant et de l’éveil vers une autre vie, à travers le cheminement intérieur de la narratrice que l’on suit de bout en bout. C’est une réflexion simple mais juste sur notre rapport à la nature, sur nos dépendances, sur nos besoins réels et superflus, avec un message clair, fort, universel mais aussi sensible et profondément humain. Probablement une des plus belles réussites du genre.
Pour vos achats, n’hésitez pas à privilégier les librairies indépendantes (ou Recyclivre pour des livres d’occasion).
Et si vous avez vous-mêmes des coups de cœur à recommander, n’hésitez pas à le faire savoir en commentaire !
C’était le 46e numéro de la newsletter Nourritures terrestres. Merci à tous ceux qui soutiennent mon travail sur ma page Tipeee. Vous pouvez (re)lire les numéros précédents ici. A bientôt ! Clément
Notons que l'on peut (doit?) suivre Alexandre Pignocchi sur son blog: http://puntish.blogspot.com/
Merci pour ces conseils. Et plus globalement pour tous vos articles intéressants.