Suite de la 1re partie.
Aglaé Jézéquel, chercheuse en climatologie au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD-IPSL)
[Observez-vous ce phénomène d’écoanxiété ?]
« Mon échantillon est très biaisé parce que je suis entourée de gens qui sont conscients du problème. Pour certains d’entre eux, c’est effectivement une source de fort désarroi ; de manière générale cela a changé la vie de presque tout le monde dans mon entourage. En tout cas j’observe bien ce phénomène, oui. Cela étant, je ne sais pas s’il s’agit de plus d’écoanxiété ou de plus de prise de conscience : si la prise de conscience ne déclenche aucune émotion chez quelqu’un, c’est que la personne n’a pas vraiment compris le problème.
(…) En revanche, j'ai le sentiment que [cet impact émotionnel] a plus tendance à exacerber les choses si on ne se sent déjà pas bien qu’à être une cause unique de grand désarroi ou d’état dépressif.
(…) Par ailleurs cela dépend aussi des choix de vie. Je pense qu’un certain nombre de personnes commencent à repenser leur vie pour qu’elle soit cohérente, et agissent en ce sens ; or quand on est dans le « faire », on est moins dans l’anxiété. »
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[Le changement climatique a-t-il sur vous des incidences émotionnelles importantes ?]
« Par rapport à mes résultats scientifiques et les recherches que je mène, pas tant que ça. Par rapport à ma connaissance générale du changement climatique, un peu plus. Je suis quand même très pessimiste sur l'avenir du monde, mais pas seulement sur le climat : ce sont aussi les signaux sur les ressources, sur la biodiversité…et même sur ce qui se passe politiquement dans le monde.
(…) Je pense que c'est le genre d'informations qui change une vision du monde. Le moment où j'ai commencé à comprendre l’ampleur de la situation a été beaucoup plus dur qu'une fois que je l’ai accepté. Depuis, je vis avec et il s’agit plutôt de décider de construire ma vie autour de ça. Quelque part, le choc est passé – ce qui ne m’empêche pas de temps en temps d’être en colère sur certaines choses. Une fois que c’est passé, j’ai tendance à penser qu’il faut continuer à vivre et commencer à se reconstruire.
(…) Je suis quelqu'un d'optimiste au quotidien, ce qui fait que globalement je ressens beaucoup plus de joie que de tristesse, mais tout en ayant une vision très pessimiste du futur – ce qui tient aussi au fait que j'étais dans des Cop, que je regarde les choses d'un point de vue interdisciplinaire, etc. Je ne vois pas comment est-ce que l’on va régler ce problème. Et ce d’autant plus que le problème n’est pas que le changement climatique et la gestion de la température ; c'est aussi la question de savoir comment cela va affecter les inégalités sociales. J'ai presque plus peur d'un monde qui devienne encore plus inégalitaire et qui continue à fonctionner comme aujourd'hui. Il est possible que l’on continue comme aujourd’hui encore un certain temps avant que les personnes qui profitent du système soient impactées par le changement climatique, avant que cela change vraiment leur vie ; cette perspective-là me fait presque plus peur que le fait qu’on souffre tous du changement climatique et que cela force en conséquence à changer le système.
(…) Quand je dis que je suis pessimiste, c’est au niveau mondial ; en revanche, d'un point de vue local, il y a plein d'initiatives qui sont très positives et de gens qui essaient de changer le monde autour d'eux. Rien qu’au niveau des laboratoires de recherche, il y a maintenant des initiatives comme Labos 1point5 (créée début 2019) qui réfléchit à un monde de la recherche moins consommateur de carbone ; c’est le genre de choses qui n'existaient pas il y a cinq ans, par exemple. De même, le fait de voir autant d'étudiants avec l’envie de changer les choses est très positif. »
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[Le fait d’être climatologue a-t-il un impact spécifique sur vos émotions vis-à-vis du changement climatique ?]
« A chaque fois que je rencontre quelqu'un que je ne connais pas et avec qui j’évoque mon métier, la première réaction est de me demander si ce n’est pas trop dur. Cette question est systématique mais je la trouve complètement à côté de la plaque : ce n’est pas plus dur pour moi que pour ceux qui me posent cette question. Si des gens me posent cette question, c'est qu’ils ont fait un constat similaire sur la situation.
(…) En réalité, je pense que c’est plus facile à vivre pour moi qui suis climatologue, que pour quelqu’un qui se rend compte du problème mais qui n’est pas dans un milieu qui y pense beaucoup. Le fait d’être climatologue me permet d’être entourée de beaucoup de gens qui ressentent des choses à peu près similaires. Il me semble que l'un des gros problèmes de l’écoanxiété est la solitude : le fait d'avoir le sentiment d'être en déconnexion totale entre ce qu'on comprend le monde et la façon dont le monde fonctionne [y compris autour de soi]. A titre personnel je suis dans un milieu où tout le monde est conscient du changement climatique ; je ne me sens donc pas du tout seule par rapport à ça. Je sais que si je ne me sens pas bien par rapport au changement climatique, j’ai plein de gens avec qui je vais pouvoir en parler. »
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[Les émotions doivent-elles rentrer en ligne de compte dans votre travail ?]
« De mon point de vue la question des émotions fait partie de la façon dont on parle du changement climatique. A chaque fois que je fais de la vulgarisation, j'ai conscience que l’information à faire passer peut être dure. C'est surtout dans ces moments-là [que réside le défi], puisque pour moi personnellement, le choc est vraiment passé. Le défi, c’est, quand je communique sur le sujet, de voir comment les gens réagissent, et d’être un minimum dans l’accompagnement et dans l’empathie. »
Françoise Vimeux, directrice de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)
Françoise Vimeux travaille au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE) et au Laboratoire HydroSciences Montpellier (HSM).
« J'ai commencé à faire de la recherche sur le climat il y a plus de vingt ans pour comprendre comment fonctionne un système complexe. Aujourd’hui, la situation est vraiment préoccupante, et je suis parfois étonnée de la lenteur de l'action politique, mais je ne me sens pas en désarroi, pour deux raisons :
- D'abord parce que mon métier me passionne, et ce – je le dis sans aucun cynisme – d'autant plus que mon objet de recherche, le climat, a énormément évolué depuis 20 ans. Quand vous travaillez sur un objet de recherche en pleine évolution, c’est forcément très motivant en tant que chercheuse.
- Ensuite, et c'est un point important, parce que je me sens très utile : j'ai vraiment l'impression qu’en essayant de comprendre comment le climat fonctionne, j'apporte une pierre à l'édifice des connaissances et donc que je joue mon rôle, que j'ai une part, que je ne reste pas inactive. Le fait d'agir par mon travail, grâce à ma situation professionnelle, m'empêche à mon avis de tomber dans un certain désarroi. »
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[Observez-vous un phénomène d’écoanxiété autour de vous ?]
« On a certains étudiants dans cet état. A chacun je leur dis : si c’est vraiment la raison pour laquelle tu es anxieux, sache que tu peux être utile avec les études que tu entreprends, le stage que tu fais, etc. : tu viens apporter ta pierre à l'édifice. Et si ce n’est pas par la recherche scientifique, il faut trouver une autre voie. On a d’ailleurs beaucoup d'étudiants qui viennent faire des études scientifiques sur le climat et pour lesquels, finalement, cette voie ne s’avère pas la meilleure pour résoudre leur problème d’écoanxiété : ils seraient mieux dans des ONG ou sur le terrain. Pour ma part j’ai l'impression d'être utile, mais certains étudiants, non ».
« L’écoanxiété est quelque chose de nouveau, récent, chez les jeunes. Je n’avais jamais vu des étudiants avec ce sentiment il y a encore quelques années. (…) Je connais dans un autre laboratoire un étudiant qui est écoanxieux au point d’avoir été en arrêt maladie pendant plusieurs semaines et de ne plus réussir à travailler. Il a plongé dans une anxiété qu’il décrit complètement comme étant liée à ce sujet (…) Je situerais le changement à deux ans grand maximum. Le confinement n’a pas dû aider. Et c’est vrai que quand on voit le panel d’événements extrêmes qu’on a connus ces derniers mois, il faut reconnaître que ce n’est pas réjouissant. Nous climatologues sommes parfois surpris par le fait que ces événements se situent dans une gamme haute d’intensité. »
« En revanche je n'ai pas l'impression d'avoir une majorité de collègues éco-anxieux - j'ai l'impression que le sentiment que je vous ai décrit pour moi-même est assez partagé. Il y a quelques collègues qui se disent très anxieux, je ne sais pas à quel point ils le sont, mais je n'ai pas l'impression que ce soit la majorité. C’est lié au fait qu’ils se sentent utiles, qu’ils agissent, et c’est lié à la mentalité du chercheur de se dire que c’est aussi par la science qu’on arrive à faire avancer des choses.
Cela étant, il y a une différence entre être préoccupé et souffrir d’anxiété. Nous sommes nombreux parmi nous à être préoccupés, « dans le bon sens du terme », c’est-à-dire que ça nous mène à faire davantage ; par exemple je vais davantage répondre positivement à des sollicitations pour aller parler au grand public. Avec la multiplication des exemples d’impact du dérèglement climatique, c’est de plus en plus important de sortir de nos laboratoires pour expliquer ces phénomènes, parce qu’il y a beaucoup de choses que les gens ne savent pas. En ce sens je me sens de plus en plus utile ».
« L’autre chose qui joue est que pour nous notre ressenti est très étalé dans le temps. Quand est sorti le dernier rapport du GIEC, par exemple, on n’a pas eu d’effets de surprise ; cela fait des années qu’on vit avec ça. C’est donc très lissé, très progressif : on n’a pas cet effet de choc ».
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[Les climatologues ont-ils un rôle à jouer sur le sujet de l’écoanxiété ?]
« De mon expérience j’ai l’impression que le fait d’expliquer a déjà un côté rassurant. Le climatologue, en allant expliquer l'état des connaissances, quantifier certaines évolutions, peut avoir un rôle rassurant, en particulier face à des gens qui se disent « mon Dieu, tout va s’effondrer ». Quand vous leur expliquez les choses, que vous leur expliquez qu’il y a des moyens d’adaptation, par exemple « n'habitez pas à côté d'un ruisseau, il existe des solutions, etc. », cela aide. Je n’ai pas l’impression que rassurer les gens soit notre rôle mais je pense qu’on le fait en rationalisant les choses via notre discours scientifique ».
Jérôme Vialard, directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), membre du laboratoire LOCEAN
« C’est une question qui me taraude depuis quelques années. J’en ai pris conscience notamment suite à des engueulades avec des amis, où on n’était pas d'accord sur le sujet et où j’ai réagi presque violemment. Je me suis rendu compte que ce qui me taraudait était un décalage très grand entre [leurs points de vue et] mon savoir et mes convictions sur le réchauffement, qui me poussent à dire que la manière dont on vit à l'échelle planétaire est intenable, que les solutions technologiques qu'on va pouvoir apporter ne vont pas suffire et qu'il va falloir profondément modifier nos styles de vie.
En même temps, j'ai conscience que mon style de vie n'est pas du tout sobre - j'habite une grande maison, etc. – et je ne suis pas à l’aise par rapport à ça. Quand je dis que ça me taraude, c’est aussi parce que j'ai une conviction que j'aimerais défendre et que je n'ai pas l'impression que mes actions soient au niveau de mes convictions – et c’est quelque chose qui me pose problème.
C’est donc générateur d'émotions et j'imagine qu'il y a aussi un fond d'anxiété. J’ai une fille qui a 13 ans et je m'inquiète pour elle. J'ai un fond d'anxiété sur ce que pourrait être le monde de demain par rapport aux enjeux écologiques - et pas que. Et en même temps je suis quelqu'un de profondément optimiste : je suis convaincu que la société va s'adapter, même si ça ne va pas être sans accrocs et que ça m'inquiète pour les générations à venir. Cela dit je comprends ceux qui disent être pessimistes, puisqu’à partir du moment où on s’empare du sujet, on voit que les signaux alarmants sont nombreux. Ce qui fait mon optimisme, c’est plus un trait de personnalité qu’une analyse objective de la situation (qui serait de toute façon bien dure à faire : bien malin celui qui peut prévoir l’avenir). »
« Une chose qui réduit mes émotions négatives vis-à-vis du réchauffement, c’est d’une part de voir la manière formidable dont la jeunesse s’empare de ces thématiques, et d’autre part le volet politique. Bien sûr, les actions sont encore très timides - on est encore au niveau de déclarations d’intention - mais j’ai l’impression qu’il y a eu un point de bascule depuis quelques années. Je suis peut-être très naïf mais j’ai l’impression que toute une génération de décideurs s’est rendue compte du problème. Je vois le verre à moitié plein, c’est mon trait de personnalité. Ensuite se mettre d’accord sur quoi faire, c’est autre chose. A partir du moment où on va parler de chiffres et de la façon de faire…Est-ce qu’on arrivera à la neutralité carbone en 2050 ? Je crois qu’on sera toujours derrière les engagements qui sont pris ».
« Je m’en rends compte en vous parlant : je pense que je subis de l’écoanxiété. Quand je dis que c’est une question qui me taraude, ce n’est pas seulement en raison du décalage entre mes convictions et mes actions, mais aussi parce que mon optimisme est mis à l’épreuve. Et c’est sans doute pour ça que je me suis mis en colère dans des discussions avec des amis : c’est bien le signe que des sentiments un peu violents sont en jeu. Je me demande comment nous allons faire. Pour moi l’écoanxiété existe bel et bien, oui, et je pense que son existence est logique. En revanche je l’observe peu autour moi. Dans certains cas c’est même l’inverse : les amis avec lesquels je me suis un peu engueulé, c’est justement parce qu’ils minimisent le problème, qu’ils ne veulent pas le voir. »
Merci à Xavier Capet, Hervé Le Treut, Juliette Mignot, Aglaé Jézéquel, Françoise Vimeux et Jérôme Vialard d’avoir accepté de parler de ces questions.
C’était le 45e numéro de la newsletter Nourritures terrestres. Merci à tous ceux qui soutiennent mon travail sur ma page Tipeee. Vous pouvez (re)lire les numéros précédents ici. Rdv fin novembre pour le prochain numéro ! Clément
Nous subissons les symptômes climatiques (inondations sécheresses et canicules) d'une désertification des continents = disparition de la couverture végétale (déforestation) au moment ou on en a le plus besoin = l'été ! Il faut 30 ans pour qu'un arbre soit opérationnel pour le climat, en attendant il faut réguler les ruissellements de surface avec des digues pour éviter les inondations et ainsi il n'y aura plus de sécheresse : Inondation c’est quand l’eau repart trop vite vers la mer, sécheresse c’est quand elle est repartie trop vite …
Si on avait DEUX fois plus de précipitations on aurait DEUX fois plus d’inondations mais toujours pas assez d’eau l’été …