« Paris face au changement climatique » : c’est le titre d’un essai intéressant paru ce mois-ci aux éditions de l’Aube. L’auteur, Franck Lirzin, a été l’un des dirigeants du groupe immobilier Gecina. Voici ci-dessous les éléments que j’en retiens.
I - Vivre à Paris en 2050 : à quoi s’attendre
Le livre s’ouvre sur une courte fiction : comment vivrait-on à Paris en 2050 sous une forte canicule si la ville ne s’est pas adaptée drastiquement d’ici là. Parmi les éléments imaginés par l’auteur (qui précise se fonder sur le scénario intermédiaire du GIEC, RCP 4.5) :
-(Sur)vivre à la chaleur : le centre de Paris a été fermé aux passants et touristes de 11h à 17h en raison des risques d’hyperthermie ; les immeubles dont la température intérieure dépasse 35°C en journée et 30°C la nuit ont été déclarés en insalubrité thermique par la Préfecture et ont été évacués ; leurs habitants ont été temporairement relogés en deuxième couronne de Paris dans des centres de fraîcheur.
-Inégalités climatiques : les Parisiens qui le peuvent ont pris l’habitude de quitter Paris en mai pour rejoindre des maisons secondaires en Normandie ou dans les Hauts-de-France ; les inégalités climatiques sont majeures en petite et grande couronne, entre certaines villes qui ont pu s’adapter (attirant ainsi les entreprises et habitants qui fuient le cœur métropolitain), et d’autres dont les bâtiments, mal isolés, sont devenus des « serres géantes », dans lesquels les habitants n’ont pas les moyens de s’échapper.
-Autres effets : un violent feu en forêt de Fontainebleau a imposé l’évacuation de villes aux alentours comme Bois-le-Roi, où une partie des habitations ont été détruites ; l’eau est rationnée ; etc.
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Ce qui est prévu pour 2050
Ce scénario est crédible, estime l’auteur, qui cite les prévisions scientifiques :
· D’ici 2050 la température estivale moyenne au coeur de Paris devrait augmenter d’environ +4 à +5°C par rapport à la période pré-industrielle. En journée, l’augmentation est estimée à +4.9°C à Paris et +5.3°C en grande banlieue (l’écart avec la banlieue s’explique par « l’assèchement des sols ruraux en été, qui conduit à une forte augmentation de la température des sols et à une diminution de l’évaporation »).
· Paris connaîtra entre 6 et 7 canicules par décennie. Le nombre de jours très chauds, aujourd’hui très rares (1 tous les deux ans en moyenne), deviendront relativement habituels (10 à 14 jours par an). Le nombre de nuits tropicales (température supérieure à 20°C) passera de 7 à 38 nuits par an.
· Même les étés normaux seront plus chauds que ceux d’aujourd’hui. Comparativement, la canicule de 2003 nous semblera un été plutôt frais.
· Le problème ne sera pas seulement la hausse des températures mais aussi les épisodes de pluie intense et de crue (les débordements de la Seine devraient se produire tous les 3 à 4 ans, soit deux fois plus fréquemment qu’aujourd’hui)…et de sécheresse. L’alternance de fortes sécheresses et fortes précipitations devrait devenir la norme. « Il semble assez certain que, sur une année, les précipitations diminueront, mais que leur intensité s’accroîtra : il tombera moins d’eau, mais de façon plus violente et importante ».
· Les besoins en eau augmenteront (pour l’irrigation, pour le rafraîchissement des villes, pour l’hydratation des arbres et végétaux) alors que les tensions sur l’offre d’eau seront plus fortes. « L’eau pourrait devenir un bien rare et stratégique en été ».
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Le climat de Marseille…mais avec deux grandes différences
Le climat va progressivement « migrer » vers le nord, d’environ 1000 km d’ici à 2050, soit 300 km par décennie. Un travail de recherche de l’INRA estime que le climat méditerranéen arrivera à Lyon dès 2040 puis poursuivra sa progression sur l’axe Nantes-Orléans-Mulhouse.
Paris, en 2050, devrait avoir le même climat que Canberra aujourd’hui (avec son lot de nouveautés : on entendra “sans doute un jour les cigales dans les bois de Boulogne et Vincennes”, elles qui s’étendent déjà en France puisqu’elles ont été observées à Lyon en 2016 puis en Saône-et-Loire en 2021 ; de même, le réchauffement crée les conditions favorables au retour de la viticulture en Ile-de-France, région qui était jusqu’au 18e siècle le plus important vignoble français).
Pour prendre une comparaison plus proche de nous, l’auteur écrit que le climat de Paris en 2050 devrait ressembler à celui de Marseille d’aujourd’hui…mais sans le mistral, et sans que la ville n’ait été pensée pour ce climat - ce qui change tout.
« Marseille s’est construite depuis plus de deux millénaires dans un environnement chaud et sec. Ses rues, ses toits, ses maisons, en particulier dans le quartier du Panier, son mode de vie, sont adaptés à des conditions météo plus chaudes et contrastées.
Paris, au contraire, a privilégié la minéralisation et l’esthétique, au détriment du confort et du rafraîchissement. Sans changement dans leur ville, les Parisiens devront apprendre à vivre pendant l’été dans l’inconfort thermique, à supporter les vagues d’hyperthermie et à rationner leur eau ».
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Le déni climatique freine l’adaptation
« Sommes-nous prêts ? Clairement non » écrit Franck Lirzin. Pourquoi ? Parce que « nous pâtissons de décennies de désinformation systémique, de déni collectif, de confusion des idées (…) qui obscurcissent le débat et la prise de conscience. Le changement climatique remet en cause des intérêts économiques, financiers et politiques puissants, il questionne les fondements même de notre système capitaliste et libéral, il bouscule notre confort et nos habitudes. Le changement climatique est un fait qui dérange. Un brouillard intellectuel a freiné l’adaptation aux nouvelles règles climatique : la réalité nous y contraindra ».
Il cite le philosophe Jean-Pierre Dupuy : « La catastrophe a ceci de terrible que non seulement on ne croit pas qu’elle va se produire alors même qu’on a toutes les raisons de savoir qu’elle va se produire, mais qu’une fois qu’elle s’est produite elle apparaît comme relevant de l’ordre normal des choses. Sa réalité même devient banale ».
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II - Pourquoi Paris en est là aujourd’hui
1/ Une question de culture
« Paris ne possède pas de « culture climatique » » écrit Franck Lirzin. Son climat a été assez stable depuis 2000 ans, variant peu (plus ou moins 1°C), et sur de longues périodes (plusieurs siècles) – soit tout l’inverse ce que la ville va connaître dans les prochaines décennies.
Son climat tempéré et stable « n’a pas laissé de trace sur son architecture ou son urbanisme, contrairement à d’autres lieux ». Il prend les exemples d’Amsterdam et de Marseille qui ont développé respectivement une culture du froid et une culture du chaud, via leur architecture et leur urbanisme.
A l’inverse, « Paris n’a jamais ressenti la nécessité de protéger ses bâtiments des rigueurs de l’hiver ou de les rafraîchir l’été » - et ce malgré certains événements climatiques extrêmes, comme l’hiver 1709, le plus violent du millénaire, qui vit plus de 600 000 Français mourir de faim et de froid, dont plus de 20 000 à Paris. Pourtant, « aucun enseignement ne fut tiré de cette crise. Le gouvernement ne changea rien à l’organisation des villes. Chacun s’empressa d’oublier cet épisode tragique et de reprendre le cours normal de sa vie. Les mêmes causes provoquant les mêmes conséquences, un nouvel épisode de froid en 1740 provoqua 100 000 morts ».
Pour Franck Lirzin, « implicitement, Paris préfère subir les vicissitudes du climat plutôt que de les affronter. Ce parti pris, ancien et bien enraciné dans notre culture, a d’ailleurs été l’une des causes de l’échec des projets d’installation des premiers Français au Québec : leurs premières habitations, construites en pierre et mal isolées, laissaient passer le vent glacial et la neige, contrairement à celles des colons anglais ».
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2/ L’héritage du XXe siècle
Au début du XXe siècle, « le problème du confort thermique semble définitivement réglé. L’utilisation massive des énergies fossiles produit de la chaleur bon marché pour les foyers. Le succès du chauffage est si grand qu’il éclipse totalement l’enjeu d’isolation des bâtiments ».
« Les innovations de construction permettent de réduire la façade à un simple élément esthétique, sans caractère isolant ». « Les enjeux climatiques et environnementaux sont relégués au rang de non-problème grâce à l’usage intensif du chauffage et de l’aération ».
« L'après-Seconde Guerre mondiale voit le triomphe des passoires thermiques, qui compensent la nullité de leur isolation par le recours abusif à du chauffage très énergivore ». « Les performances énergétiques de ces bâtiments d'après-guerre sont deux fois plus mauvaises que celles des maisons du Moyen-Âge ou des bâtiments haussmanniens. Les Trente Glorieuses ont désappris le peu de culture climatique que Paris avait acquis, et ont produit massivement ces aberrations climatiques ».
« Il fallait construire vite au sortir de la guerre pour en réparer les stigmates et loger les centaines de milliers de personnes affluant dans les villes. On ne fit pas durable et bien, ni même vite et passable ».
« Il faut attendre la fin des années 1970 pour que la France commence à isoler sérieusement ses bâtiments neufs, avec près de trois siècles de retard sur son voisin, les Pays-Bas ».
« Le problème majeur est que toutes les réglementations successives depuis les années 1970 concernent les bâtiments neufs, alors que la majorité des bâtiments actuels en France ont été construits avant ».
« Quant au risque de surchauffe l'été, ce qu'on nomme le confort d'été, il ne fait l'objet d'aucune considération avant les années 2020 ».
La conséquence ? « Paris est aujourd'hui très majoritairement composée de passoires thermiques ou de bâtiments mal isolés. 80% de son patrimoine date d'avant la première réglementation thermique. Les 12e, 19e et 20e arrondissement sont les plus récents et, sans surprise, ceux où la température estivale est la moins forte ».
En résumé, « la technique industrielle a pallié les lacunes architecturales et urbanistiques, avec un coût écologique élevé. (…) Elle a maintenu dans l’illusion que nous vivons dans un monde sans chaud ni froid, où nous pourrons continuer à vivre comme avant. (…) Cet héritage est aujourd’hui un handicap. Paris n’est pas prête à entrer dans un climat quasi-méditerranéen. »
« Plus de 90% des bâtiments de la capitale ne sont pas conçus pour supporter un climat plus chaud. Au rythme de rénovation thermique de 1% à 1.5% par an, il faudrait plus de 75 ans pour adapter complètement le patrimoine ». Et « les Architectes des bâtiments de France veillent jalousement à préserver le caractère architectural de la capitale et autorisent seulement depuis peu et au compte-gouttes des opérations d’épaississement de façade pour les bâtiments les moins prestigieux ».
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III - Recommandations
1/ Eviter la généralisation de la climatisation
« La généralisation de la climatisation individuelle transformerait les rues parisiennes en fournaises ». La climatisation est encore peu répandue à Paris (« le besoin de rafraîchissement est aujourd’hui faible : environ 120 fois moins important que celui de chauffage ») : il faudrait qu’elle le reste, à rebours de la tendance que connaît aujourd’hui la France : le taux d’équipement en climatisation des ménages en France est passé de 14% à 25% en seulement quatre ans (2016-2020). L’année 2020 avait battu le record de vente, avec 800 000 climatiseurs vendus ; l’année 2021 a pris le dessus, avec 1 million de ventes.
A Paris, « si tous les bâtiments étaient équipés de climatisation, la température urbaine s’élèverait de +2°C [supplémentaires], au-delà du réchauffement de +4°C déjà prévu. »
Et le cercle vicieux serait encore pire dans certains cas : « dans les quartiers défavorisés, qui seront particulièrement touchés par le réchauffement, les habitants pourraient privilégier les climatisations bon marché, qui sont les plus polluantes et les moins efficaces, ce qui aurait pour conséquence d’aggraver encore leur situation ».
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2/ Suivre les principes bioclimatiques
Pour Franck Lirzin, « il existe des solutions de rafraîchissement écologiques et pouvant être mises en œuvre à grande échelle » : pompes à chaleur réversibles, pour produire du froid ou du chaud à partir de l’énergie de l’air, de l’eau ou du sol ; puits canadiens ; geocooling, qui utilise la fraîcheur du sol profond…L’auteur liste différentes solutions.
Il insiste en particulier sur l’importance de suivre « les principes de l’architecture bioclimatique » : « utilisation de matériaux naturels à forte inertie thermique, double orientation pour créer des courants traversants, végétalisation des toitures et des extérieurs pour ombrer les façades, brise-soleil et volets, géothermie sur nappe pour capter de la fraîcheur en profondeur »…
De même, les réseaux de froid, « aujourd’hui réservés aux surface tertiaires (bureaux, commerces, musées, hôpitaux), devraient s’ouvrir aux bâtiments résidentiels et couvrir l’ensemble de la première couronne ».
De façon générale, Franck Lirzin estime que « rafraîchir Paris de façon écologique est tout à fait possible avec les technologies actuelles » : nul besoin d’attendre d’hypothétiques innovations de rupture. Il appelle, en parallèle, à « réglementer l’installation et l’usage des climatisations individuelles pour les limiter aux cas les plus urgents, et investir dans les systèmes de rafraîchissement à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier ».
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3/ Au-delà des solutions techniques : une transformation profonde de la ville
Franck Lirzin présente une succession d’idées pour adapter la ville en profondeur. En voici quatre, très résumées :
-« Faisons réapparaître l’eau à Paris. L’eau devrait être partout, sous forme de fontaines, de lacs ou de petits ruisseaux, et la vie sociale s’organiser autour d’eux ».
-« Les boulevards parisiens pourraient être séparés en trois couloirs : l’un pour les piétons, un deuxième pour les transports en communs et le troisième pour des bandes de végétation, pour créer de vraies zones de fraîcheur ».
-« Transformons les cours intérieures en patios végétalisés, comme il en existe en Espagne. Ces cours, parents pauvres de l’architecture haussmannienne, ont un fort potentiel rafraîchissant ».
-« Les toits en zinc sont un contre-sens climatiques. Ils n’isolent rien, et transforment les combles en sauna. Imaginons leur isolation par l’intérieur associée à une sur-ventilation, et leur blanchiment par un revêtement blanc et réfléchissant. Ou carrément, si la charpente le permet, transformons-les en toits en tuiles comme à Marseille ou en toitures végétalisés ».
Il cite aussi une étude (EPICEA) selon laquelle « combiner le blanchiment des toitures, la végétalisation des espaces urbains et l’humidification des chaussées conduirait à une baisse importante des températures, jusqu’à 2 à 3°C ».
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Pour aider à se représenter des cas concrets, l’auteur imagine, au chapitre 5, la transformation de quatre lieux : la place de la Concorde et ses alentours, la gare Montparnasse, la montagne Sainte-Geneviève, et la ville de Saint-Ouen.
Par exemple, il présente l’idée d’une « forêt urbaine, sans discontinuité et adaptée aux sécheresses et canicules de 2050, allant de l’Arc de Triomphe jusqu’au Louvre, où alterneraient arbres hauts et végétation basse, étendues d’eau et promenades ». Sur certaines rues, il imagine que « des câbles pourraient être tentés pour qu’y poussent des vignes ou du chèvrefeuille, formant une tenture végétale à grande hauteur ».
La place de la Concorde pourrait devenir « l’emblème d’une capitale qui se saisit des enjeux climatiques. Cette place qui a si souvent joué un rôle central dans l’histoire de Paris et de la France serait amenée à incarner l’esprit d’une République réconciliée avec la nature. Jadis, la Concorde a vu en son centre une statue de Louis XIV symbolisant la royauté triomphante, puis une statue de Liberté comme emblème de la Révolution, et enfin un obélisque, trace des ambitions coloniales de l’Empire français : pourquoi ne pas y ériger un arbre, un chêne qui vivra par-delà la folie pétrolière de notre siècle ? »
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Autres éléments intéressants
-« A Paris, les simulations montrent que le besoin de chauffage diminuera d’au moins 1/3 d’ici à 2050, et sans doute davantage. Il sera relativement aisé de réduire drastiquement la consommation et les émissions liées au chauffage. L’isolation thermique devrait cibler en priorité le confort d’été, avant le confort d’hiver. »
-« Trop souvent, les opérations d’adaptation climatique font du « picking ». Les toits sont végétalisés, mais une climatisation est installée ; la façade est épaissie, mais les vitres ne sont pas protégées du soleil estival. Les solutions perdent leur efficacité et deviennent cosmétiques et anecdotiques. Nous retombons alors dans une architecture qui privilégie l’apparence écologique à une véritable adaptation. L’enjeu est de réussir à utiliser l’ensemble de ces techniques de façon cohérente et dans l’objectif clair de s’adapter à un climat chaud ».
-La question des inégalités n’est pas oubliée. L’auteur la traite à travers le cas de Saint-Ouen, qu’il craint de voir devenir un « ghetto thermique ». « La température y est bien plus élevée qu’à Paris intramuros. C’est également vrai d’Ivry-sur-Seine, Clichy et Aubervilliers. Ces villes ont toutes les mêmes caractéristiques », qu’il liste, et qui les rendent difficilement compatibles avec des canicules intenses.
Ironie de l’histoire : en 2024, Saint-Ouen accueillera le Village olympique, construit de façon à servir de vitrine du savoir-faire français en construction écologique (îlots de verdure, jardins suspendus, protections solaires, matériaux de construction composés à 50% de bois…). « Ainsi coexisteront dans une même ville le fleuron climatique de l’architecture française et des ghettos climatiques de passoires thermiques », écrit Franck Lirzin. « Aux inégalités sociales s’ajouteront les inégalités climatiques ».
Plus généralement, « les villes les plus pauvres de la première et deuxième couronne n’auront pas toutes les moyens de s’adapter. Elles cumulent les difficultés (…). Ce sont ces villes, et non Paris intramuros, qui seront les premières victimes du changement climatique ». De là le besoin d’intégrer, dans l’adaptation climatique des villes, un volet social fort face à ces inégalités territoriales (exemple : faire en sorte que les infrastructures de rafraîchissement couvrent aussi la banlieue ; de même pour les forêts urbaines et espaces végétalisés).
Et si l’argument de la justice sociale ne suffit pas aux décideurs pour agir, celui du risque de tensions sociales devrait les inciter à prendre le sujet très au sérieux. Le lien entre chaleur et hausse des émeutes et violences a d’ailleurs été montré par différentes études.
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Et sur le sujet de l’eau :
-Une simulation récente estime que la fréquence des crues centennales pourrait croître de +40% d’ici 2050. Or « les quatre lacs-réservoirs sont dimensionnés pour une crue « trentenaire ». Au-delà, dans le cas d’une crue centennale, ils ne permettraient plus de protéger les zones aval, situées dans le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis. » « A Paris, les zones inondables seraient réduites, mais concentrent des infrastructures stratégiques, dont 18 établissements de soin. Une crue comme celle de 1910 réduirait de 40% les capacités d’hospitalisation ».
-« Les projections des besoins futurs en eau sont très partielles. A titre d’exemple, le projet de recherche Explore 2070 du ministère de l’Environnement a omis volontairement de prendre en compte l’augmentation des besoins en irrigation. On peut néanmoins estimer que les besoins d’irrigation devraient augmenter de +40% à +65% d’ici 2070. (…) Pendant l’été, le bassin Seine-Normandie sera pris dans un effet ciseau : baisse de la ressource en eau de l’ordre de -30% à -50%, et hausse des besoins pour l’irrigation de l’ordre de +50%. »
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Conclusion
« Ne nous y trompons pas. Paris, en 2050, ne sera pas une ville « agréable ». Elle restera sujette à des vagues de chaleur, les cultures agricoles seront soumises à des stress hydriques intenses et la vigilance sera quotidienne. L’adaptation aura seulement permis d’atténuer les effets les plus indésirables du changement climatique ».
Le livre se finit toutefois sur une touche d’espoir : une fiction dans laquelle Paris est vivable en 2050 malgré la canicule, grâce à un effort massif d’adaptation, au point que la Ville Lumière est rebaptisée « Ville Nature » par les guides touristiques. Pour parvenir à ce résultat, un ensemble de solutions a été mis en place, puisque comme l’écrit l’auteur, « c’est l’addition de toutes ces techniques, et leur application systématique à l’échelle de la ville et sa banlieue, qui permettra d’atteindre ce résultat. Il n’y a pas de solution unique qui pourrait s’industrialiser simplement ».
En complément
-« Paris, qui se voit encore comme une ville du Nord, doit s’inspirer des cités du Sud » : le point de vue de l’adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique.
-Sur ce lien (PDF), une étude « Paris face au changement climatique », publiée l’an dernier par la mairie de Paris. On y lit notamment que l’effet des îlots de chaleur est « sous-estimé par les modèles climatiques ». A noter d’ailleurs, au sujet des îlots de chaleur, que contrairement à une idée reçue, la pollution ne joue quasiment aucun rôle dans leur apparition. Ils sont surtout dus à la concentration des bâtiments et l’imperméabilisation des surfaces, et apparaissent lorsque sont réunis : 1/ un vent faible ou ne pénétrant pas dans les rues ; 2/ un soleil présent en journée ; 3/ une température durable et continue nuit et jour.
-Ici une étude moins récente (2014) mais plus spécifique : « Comment adapter le territoire parisien aux futures canicules ».
-Un compte fictionnel « Paris 50 degrés » a été lancé récemment sur Linkedin et Twitter. Le pitch : « "Été 2026, Paris connait sa première canicule à 50°C." Regardez l'histoire se dérouler sous vos yeux ». Voir par exemple le reportage fictionnel ci-dessous, à dérouler sur Twitter :
Son co-auteur, Alexandre Florentin, conseiller de Paris délégué à la résilience et aux enjeux climatiques, explique que cette initiative « est pensée comme un scénario d’exercice de gestion de crise. L’objectif est d’alerter de la claque à laquelle il faut se préparer. Des entretiens menés dans le 13eme arrondissement montrent que les acteurs du territoire savent qu’on va avoir plus de canicules mais ne se représentent ni leurs types ni leurs conséquences. Ceci est à mon avis valable pour le monde médiatique et politique parisien. »
-Pour finir ce numéro, il me semble important de revenir sur un sujet central : la climatisation.
Un article de recherche intitulé « What alternatives does Paris have to adapt to future heat waves? » souligne « l'effet prédominant des pratiques des habitants sur l'efficacité des stratégies d’adaptation. En particulier, l'utilisation massive de la climatisation, en augmentant la température au niveau de la rue, peut contrebalancer tous les avantages des autres leviers d'adaptation. »
Pour autant, gare aux avis très tranchés et manichéens sur la climatisation.
Un travail de recherche de 2020 aboutit à la conclusion suivante : « il n'est pas clair si les stratégies d’adaptation peuvent empêcher l'utilisation massive de la climatisation ».
Il précise : « Nous constatons que même des stratégies ambitieuses ne semblent pas suffisantes pour remplacer totalement la climatisation et assurer le confort thermique. Elles peuvent cependant réduire de moitié la consommation d'énergie de la climatisation pendant les vagues de chaleur et compenser les dégagements de chaleur à l'extérieur », écrivent le chercheur Vincent Viguié et ses co-auteurs.
Dans le même ordre d’idées, ce point de vue sans langue de bois de l’ingénieur spécialisé Thibault Laconde me semble assez convaincant :
« L'usage de la climatisation va augmenter en France. Le refouler ou tenter de l'empêcher n'aide personne. Le défi maintenant, ce n'est pas d'empêcher les Français de s'équiper en climatisation. C'est une mauvaise bataille, qui plus est perdue d'avance. La bonne question, c'est : comment accompagner le mouvement pour en limiter les effets négatifs ? [On ferait mieux de] relever les normes de performances, éduquer les utilisateurs, travailler avec les industriels et les distributeurs pour retirer de la vente les appareils les moins performants ».
« Le scénario catastrophe serait au contraire d'attendre qu'une canicule déclenche la ruée vers des équipements peu performants et mal dimensionnés qui resteraient ensuite en service 10 ou 20 ans…Malheureusement, c'est ce qui se passe actuellement. »
Il ajoute d’ailleurs : « on pourrait presque deviner les températures estivales en regardant les ventes de climatiseurs... » - propos qu’il accompagne de l’image ci-dessous :
—> Pour plus de précisions sur le sujet, lire l’étude en PDF de Colombus Consulting et Callendar (mai 2022) : « Climatisation et réchauffement climatique : quels enjeux techniques et sociétaux à l’horizon des prochaines décennies ? ». Ou lire un résumé ici.
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C’était le 53e numéro de la newsletter Nourritures terrestres. Merci à celles et ceux qui soutiennent ce travail sur ma page Tipeee. Vous pouvez (re)lire les numéros précédents ici. Rdv en juillet pour le prochain numéro. Clément
Je me demande encore pourquoi il n'y a pas de campagnes d'incitation / communication de la part des "autorités" pour des solutions individuelles, peu chères et directement applicables, telles que la végétalisation des cours d'immeuble ou même simplement des plantes aux fenêtres. Je sais que c'est minime, mais à force de solutions minimes mais immédiates, on pourrait peut-être obtenir un résultat, meilleur que... rien. Pourquoi toujours attendre des grandes décisions - avec des gros budgets - de la part de l'Etat, pour que chacun fasse quelque chose ?