#31 : Les enjeux des technologies de capture et stockage du carbone
En annonçant une récompense de 100 millions de dollars pour qui lui présentera « la meilleure technologie de capture du carbone », Elon Musk a relancé les débats sur un sujet controversé et parfois difficile à appréhender : la capture et séquestration de carbone.
Les réactions suite à son annonce se sont révélées typiques des divisions sur le sujet : certains l’ont accueilli avec enthousiasme, tandis que (beaucoup) d’autres l’ont considéré avec scepticisme voire sarcasme en écrivant que cette « meilleure technologie » est déjà connue puisqu’il s’agit…des arbres, avec toutes les limites que cette solution présente (…à noter que peu ont évoqué l’importance de préserver les baleines et les écosystèmes marins, dont le rôle est pourtant lui aussi capital en la matière).
La capture et séquestration de carbone (dite CSC) est parfois présentée, notamment dans les milieux très technophiles, comme l’une des potentielles solutions miraculeuses pour nous « sauver du désastre » - ce que ces technologies ne sont pourtant pas - et dont la conception et le déploiement ne dépendraient que du talent d’ingénieurs hors-pair et du financement d’investisseurs prêts à mettre les centaines de millions nécessaires. D’autres, à l’inverse, ferment la porte à l’idée que la CSC puisse apporter une aide véritable au défi climatique (alors qu’elle est devenue un élément essentiel de la majorité des scénarios de transition élaborés par les scientifiques), considérant ses limites actuelles comme insurmontables dans les délais impartis ; en France, Jean-Marc Jancovici se situe par exemple plutôt sur cette ligne.
Pour y voir plus clair sur la CSC, je publie aujourd’hui un dossier spécial sur le sujet, après m’être plongé ces derniers temps dans différents rapports, études, analyses et autres articles. Je me suis notamment appuyé sur une très bonne vidéo du Youtubeur Rodolphe Meyer, de la chaîne « Le Réveilleur » spécialisée sur les questions environnementales, que j’ai recroisée et complétée avec de nombreuses sources.
La vidéo de Rodolphe Meyer m’a semblé utile pour structurer ce numéro parce qu’elle traite la CSC avec un regard neuf et pose des questions importantes (voir partie « que penser de la CSC »). Parce que le sujet est très vaste, Rodolphe Meyer se concentre uniquement sur les cas où la CSC vise à atténuer les émissions de CO2 d’installations données (en sortie de production d’une centrale à charbon par exemple) - par opposition aux cas où il s’agit de retirer du CO2 de l’atmosphère (ce qu’on appelle des « émissions négatives »), soit directement (ce qu’on appelle le Direct Air Capture, dit DAC), soit indirectement par la biomasse (technique dite BECCS). J’ai repris le même angle pour la majorité de ce numéro, tout en élargissant le propos dans la dernière partie et en dressant un court panorama des autres procédés de capture de carbone et de leurs limites dans une partie complémentaire.
Cet article est construit en plusieurs parties :
1 - Comprendre ce qu’est la CSC, ses grands principes, et où en est le déploiement de la CSC aujourd’hui
2 - Entre échecs et “hype” entourant la CSC, quelle tendance passée et actuelle ?
3 - Comprendre ce qui freine (et ce qu’il faudrait pour lever ces freins)
4 - Que penser de la CSC ?
5 - Conclusion et dernières analyses
Ce numéro étant nettement plus développé que d’habitude, j’ai résumé chacune des parties dans cet article, avec à chaque fois un lien pour accéder à l’ensemble du texte.
Préambule : pourquoi il faut s’y intéresser
Avant tout, je voudrais expliquer ici pourquoi ce sujet, qui peut sembler technique et aride, mérite que l’on s’y intéresse en tant que citoyen.
Aujourd’hui le sujet devient incontournable pour qui s’intéresse aux défis que pose le réchauffement climatique. Or il est encore peu traité dans les articles grands publics, et pas seulement : il reste peu connu ou mal compris par un certain nombre d’acteurs de la transition écologique eux-mêmes, comme le disait récemment une chercheuse américaine.
S’il est essentiel que ses enjeux soient compris du plus grand nombre, c’est d’abord parce qu’avant même d’avoir fait son entrée dans le débat public, la CSC n’est déjà plus (présentée comme) une option. Aujourd’hui, dans la quasi totalité des scénarios du GIEC, la CSC est considérée comme indispensable dans l’éventail des solutions à combiner pour limiter le réchauffement sous les +1,5 degrés. De son côté, l'Agence internationale de l'énergie inclut un déploiement massif de la CSC dans l’ensemble de ses scénarios pour satisfaire l’Accord de Paris. Selon l’AIE, « la CSC fait partie des rares technologies capables de décarboner l'industrie » et pourrait permettre d'éviter l'émission de 8 milliards de tonnes de CO2 d'ici à 2050.
Comme le dit l’analyste Loïc Giaccone, « ce genre de développement techno-industriel d'atténuation, même s’il n’en est qu'à ses balbutiements, semble déjà "acté" pour le reste du siècle dans une majorité de scénarios. Que cela nous plaise ou non, les politiques publiques entérinent progressivement leur utilisation.
Si on regarde les scénarios socio-économiques du prochain rapport du GIEC, on a un déploiement de la CSC et des émissions négatives sous forme de bioénergie dans la plupart des scénarios maintenant le réchauffement à 1,5°C ou 2°C, dans les voies d'atténuation moyenne et forte. Cela veut dire que si l'on souhaite avoir un monde à peu près vivable, on a probablement déjà signé pour tout ça. »
Ne pas avoir agi suffisamment fort jusqu’ici dans la réduction des émissions ne nous laisserait donc plus le choix.
Vous comprenez donc pourquoi il peut être intéressant de se pencher sur ce pour quoi « on a probablement déjà signé ».
1 - Comprendre ce qu’est la CSC, ses grands principes, et où en est son déploiement aujourd’hui
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—> Lire cette partie sur ce lien.
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En très résumé :
-La CSC consiste principalement à 1/ capter du CO2 issu de centrales à charbon ou au gaz, ou de grands sites industriels (produisant par exemple du ciment ou de l’acier), 2/ à le transporter, 3/ à l’injecter dans une formation géologique pour des milliers d’années (réservoirs de gaz naturel ou de pétrole épuisés ou en déclin, ou aquifères salins profonds).
-Aujourd’hui, les installations de CSC à grande échelle ne sont que 21 dans le monde, et capturent 1 millième de nos émissions mondiales de CO2 liées à la combustion de ressources fossiles et à l’industrie. Autrement dit, elle représente extrêmement peu de choses à l’échelle planétaire.
2 – Quelle tendance ?
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—> Lire cette partie sur ce lien.
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En très résumé : La CSC a connu une succession d’échecs depuis 15 ans malgré notamment plusieurs milliards investis aux Etats-Unis par les gouvernements Bush et Obama – de quoi inciter à la prudence. Ceci n’empêche pas à ces technologies de connaître une nouvelle « hype » depuis peu, caractérisée par de multiples annonces de nouveaux projets et financements. En parallèle, le plus grand site de CSC au monde, en Australie, continue de se battre contre une défaillance de son installation, sans succès jusqu’ici, malgré 2,4 milliards de dollars investis dans le projet et une R&D entamée en…1998 !
3 - Comprendre ce qui freine (et ce qu’il faudrait pour lever ces freins)
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—> Lire cette partie sur ce lien.
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En très résumé : Les coûts massifs des projets de CSC les éloignent fortement de la rentabilité dans la majorité des cas. En l’absence d’incitations économiques fortes, il est bien plus rentable pour un industriel de continuer de rejeter le CO2 dans l’atmosphère que de faire l’effort de le capturer et le séquestrer. Le déploiement massif de la CSC ne pourra passer que par une intervention politique forte (hausse importante des prix du CO2, subventions, etc.).
4 - Que peut-on en penser ?
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—> Lire cette partie sur ce lien.
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J’invite les intéressé(e)s à lire en entier cette partie car elles présentent des enjeux qui me semblent importants. En résumé :
-On constate un gouffre entre la place prise par la CSC dans les scénarios de transition et son déploiement réel. Jusqu’ici, « la présence de ces technologies dans les modèles a surtout permis de nous tromper sur la faisabilité de scénarios permettant de limiter le réchauffement climatique », estime Rodolphe Meyer.
- Le sujet est controversé au sein même de la communauté scientifique : certains chercheurs critiquent fortement la dépendance des modèles à la capture du carbone. Le risque est que « la société se retrouve bloquée sur la voie d’un réchauffement élevé », après avoir cru dans la faisabilité de scénarios qui ne tenaient que grâce à l’hypothèse hasardeuse de la CSC.
-Pour autant, se priver de la possibilité de CSC conduirait à devoir fournir beaucoup plus d'efforts dans la réduction des émissions, ou, à défaut, dans l’adaptation au changement climatique par la suite. Dès lors, il faudrait plutôt souhaiter la mise en place des conditions politiques et économiques pour se donner les chances que la CSC soit déployée dans les conditions les plus satisfaisantes, dans les cas où elle pourrait être pertinente (industrie lourde par exemple), et sans qu’elle ne serve d’excuse pour prolonger notre dépendance aux énergies fossiles ou éviter les efforts de réduction à la source.
-Pour ce faire, la hausse progressive des prix du carbone, soutenue par les pouvoirs publics, semble la clef pour que la CSC puisse gagner en rentabilité et donc se déployer.
5 - Conclusion et dernières analyses
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Pas de résumé ici : je vous invite à la lire en entier.
Bonus : Et concernant les autres procédés de capture du carbone ?
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—> Lire cette partie sur ce lien.
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En très résumé :
-> S’agissant de la capture du CO2 dans l’atmosphère (dite DAC, pour Direct Air Capture) : malgré l’intérêt qu’elle suscite, elle est loin d’être viable et pourrait ne pas l’être avant plusieurs décennies, au point que certains scientifiques en parlent comme d’une « diversion ».
-> S’agissant de la capture de carbone appliquée à la biomasse (technologie BECCS) : elle peut être intéressante à une échelle limitée et selon les configurations, mais son déploiement à grande échelle pourrait « induire des changements irréversibles sur le système terre » et « compromettre l’intégrité de la biosphère » selon plusieurs chercheurs, en raison des besoins massifs en terres et en eau qu’elle nécessite.
-> S’agissant de la reforestation : les entreprises sont trop nombreuses à miser dessus pour atteindre la neutralité. Un chiffre éloquent : les objectifs « net zéro » de deux seules entreprises (British Airlines et Eni) nécessitent d'utiliser pas moins de 12% de la capacité de terres que le GIEC estime encore disponibles dans le monde pour cet usage !
-> Outre la reforestation, il existe tout un éventail d’autres méthodes biologiques, qui s’appuient sur les puits de carbone naturels, par opposition aux puits de carbone « artificiels » liés aux technologies présentées dans ce numéro. Ces méthodes sont prometteuses, mais à ne pas surestimer pour autant (les puits de carbone naturels sont fragiles et peuvent devenir des sources de carbone) : j’évoque ainsi dans cette partie la surestimation par la GIEC du potentiel de stockage du CO2 dans les sols.
C’était le 31e numéro de Nourritures terrestres, la newsletter sur les enjeux de l’écologie (lien pour la recevoir). Tous les numéros précédents sont à retrouver ici.
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