En novembre dernier s’est tenu un colloque à la Sorbonne sur « les verrous de la transition écologique », abordés sous le prisme des sciences humaines et sociales.
Pendant deux jours, des intervenants de disciplines variées (sociologues, historiens, économistes, géographes…) ont présenté les résultats de leurs travaux et débattu.
J’ai choisi de vous présenter ici l’intervention que j’ai trouvé personnellement la plus intéressante : celle d’Alice Mazeaud, chercheuse en sciences politiques à l’Université de la Rochelle, intitulée « Déverrouiller la participation citoyenne pour déverrouiller la transition écologique ».
Sa présentation relie deux de ses principaux thèmes de recherche : la démocratie participative d’une part, et la (dé)politisation des enjeux environnementaux d’autre part.
Les citations retranscrites et les images ci-dessous sont issues de la présentation d’Alice Mazeaud – que vous pouvez aussi voir en vidéo (30mn) sur ce lien.
« Je vais parler ici des rapports entre politiques de transition écologique et politiques publiques de participation citoyenne.
(…) Au point de départ de mon propos, il y a un constat : on est saturés de dispositifs de participation citoyenne en lien avec l’environnement. Débats publics, budgets participatifs, assemblées citoyennes, concertations etc. On assiste à une multiplication de dispositifs cherchant à faire participer les citoyens à l’action publique.
Comment expliquer ce tournant participatif de l’action publique dans le champ de la transition écologique ?
La démocratie environnementale a été constitutionnalisée par la charte de l’environnement de 2005. Celle-ci consacre juridiquement le droit des citoyens à participer à l’action publique environnementale. Cette consécration juridique se traduit par de nombreuses obligations dans le champ réglementaire – d’où le développement de dispositifs pour faire participer les citoyens dans l’action publique.
(…) C’est notamment le cas du débat public, organisé par la commission du même nom, reconnue autorité administrative indépendante en 2002. (…) Cette consécration juridique s’est traduite par une augmentation considérable du nombre de saisines et des sollicitations. On voit ici (ci-dessous) une croissance considérable à partir de 2016. La Commission nationale du débat public estime d’ailleurs que son activité a été multipliée par 7 au cours des dernières années.
Un « impératif participatif » dans les politiques environnementales
En parallèle on constate l’institutionnalisation d’un « impératif participatif » de l’action publique, qui s’exprime en particulier dans le domaine environnemental.
Ce phénomène est indissociable d’un autre mouvement : celui de la professionnalisation de la participation citoyenne. C’est-à-dire un développement de méthodes, savoirs, savoir-faire, transmis dans le cadre de formations, structurés par des réseaux professionnels, des guides, des trophées, etc.
Cette professionnalisation a fait émerger un marché en matière de participation, qui s’est consolidé ces 10 dernières années. C’est à la fois un marché de l’emploi, qui s’exprime très majoritairement dans les collectivités territoriales (on estime que 80% des professionnels de la participation travaillent dans des collectivités territoriales). Mais aussi un marché du conseil de la participation, très concurrentiel et dynamique ; un rapport du Sénat 2022 en montre d’ailleurs l’inflation.
Pourquoi insister sur cet aspect ? Parce que ces professionnels, comme tout professionnel, doivent asseoir la nécessité de leur propre domaine d’activité. En conséquence, on assiste à la standardisation de politiques d’offres de participation.
Cela se traduit par deux phénomènes :
-La mise en participation des politiques environnementales : dans la plupart des politiques publiques liées à l’environnement il y a désormais un impératif participatif. Cette offre de participation fait désormais partie des éléments ordinaires de la conduite des politiques environnementales. Il y a des injonctions à faire participer les citoyens dans chaque appel à projet : plans climats, projets éoliens, plans de mobilité, etc. Du reste, les agences en charge de la transition écologique (Ademe, OFB, Cerema, etc.) ont maintenant leur administration dédiée à la participation et mobilisation citoyenne.
-Une « environnementalisation » des dispositifs de la démocratie participative locale. Ainsi les budgets participatifs sont désormais largement associés aux enjeux de transition écologique ; des dispositifs de type jurys citoyens sont organisés sur les questions d’eau, biodiversité, climat, etc.
On a donc ici un effet d’accumulation qui est lié à ce mouvement de professionnalisation et de standardisation des politiques d’offres de participation.
Pourquoi tant de “succès” malgré les déceptions ?
(…) Ce qu’on constate : des déceptions très fortes, à la hauteur des promesses. La conflictualité croissante des projets est source de déception, face à la promesse initiale de gérer autrement les conflits.
Mais plus globalement, cette déception tient aux effets limités des processus participatifs, effets limités qui font consensus dans la littérature scientifique. En conséquence ces dispositifs sont de plus en plus critiqués.
Pourtant…il n’y en a jamais eu autant. Voilà le paradoxe. Pourquoi des dispositifs aux effets limités ont-ils autant de succès ?
C’est là où j’en arrive à la thèse que je souhaite défendre devant vous : la neutralisation des effets décisionnels de ces processus participatifs, et donc leur verrouillage, a été une condition de leur succès.
Je vais prendre deux exemples pour l’illustrer.
Premier exemple : la Commission nationale du débat public
C‘est l’emblème de la démocratie environnementale. Consacrée « autorité administrative indépendante », elle a connu un grand élargissement de son périmètre : avec elle, ce sont les plus grands projets qui sont soumis à cet impératif participatif.
Une institution entravée
Mais tout au long de son histoire, on voit que cette commission a été entravée. Le débat public n’a été rendu possible, toléré en quelque sorte, par le législateur que comme procédure préparatoire à la décision. C’est bien parce que le débat public n’est pas une procédure décisionnelle, mais seulement préparatoire à la décision, qu’il a été validé par la loi.
On observe aussi que par une succession d’innovations législatives et juridiques, s’est construit tout un encadrement juridique qui a eu pour objectif de priver le débat de toute portée décisionnelle. Une ancienne présidente de la Commission disait de celle-ci que, comme l’Europe, son périmètre a été élargi, mais pas approfondi : aucune avancée n’a été faite sur le terrain de sa portée décisionnelle.
Autre élément : depuis les premières discussions à son sujet, à la fin des années 1990, certains ont proposé de la transformer en une Haute Autorité à la participation citoyenne, capable de réguler le thème de la participation, y compris en dehors de son périmètre. Ce qu’on observe, c’est que ces propositions ont été systématiquement enterrées, avec l’idée d’enfermer la Commission dans son périmètre pour ne pas lui permettre d’être une autorité régulatrice.
Une institution écartée
On observe aussi une mise à l’écart manifeste de cette Commission. Pensons au conflit avec sa présidente au moment du « grand débat national » (en 2019 pendant les gilets jaunes) : la présidente avait été saisie pour l’organiser, mais elle avait demandé que ce soit la Commission qui soit saisie et pas elle, pour permettre à la Commission d’être en charge de réaliser le bilan du débat. Elle a reçu une fin de non-recevoir du gouvernement, qui a estimé qu’il était hors de question que ce soit une autorité indépendante qui produise le bilan de du débat.
Cette mise à l’écart s’est traduite ensuite par le fait que dans la Convention Citoyenne pour le Climat, la Commission n’a été absolument pas mobilisée. C’est le CESE qui s’est retrouvé autorité organisatrice de la Convention citoyenne, précisément pour éviter qu’une autorité indépendante le soit.
Il y a donc eu en apparence un mouvement de reconnaissance de cette institution; mais en regardant dans le détail, cette reconnaissance s’est faite à la condition d’un verrouillage de son périmètre.
Deuxième exemple : les budgets participatifs
Les budgets participatifs étaient un emblème de l’ambition radicale de la démocratie participative, quand on se resitue à la fin des années 1990 et au début des années 2000 : au moment où le budget participatif fait son arrivée en France, c’est véritablement pensé comme un instrument de justice sociale et de transformation radicale des rapports sociaux, dans le sillage de son innovation brésilienne (née à Porto Alegre en 1989).
Jusqu’à la fin des années 2000, ces budgets en France se comptent comme les doigts d’une main. Ils connaissent une forte croissance à partir de milieu des années 2010.
Comment expliquer ce succès ? Par le fait que ces budgets n’ont plus aucune ambition de transformation radicale. Leur succès masque un changement radical dans la logique même de ce dispositif. Ces dispositifs sont aujourd’hui la caricature de la participation en kit.
Si vous êtes un élu local et que vous voulez faire un budget participatif, ce n’est pas dur : il y a quelques prestataires, cela coûte quelques milliers d’euros, vous faites trois clics, vous avez une petite plateforme, vous la personnalisez, et hop, vous avez créé un budget participatif dans votre commune. On est vraiment dans la plateformisation de la participation citoyenne.
Deuxième élément très important : il y a eu un verrouillage du périmètre des décisions. Ce qui constituait l’innovation radicale de ces budgets, c’était précisément le fait qu’ils visaient à redistribution l’allocation des moyens. Ils avaient donc, de ce point de vue, un potentiel transformateur. Sauf que désormais il n’y a plus d’objectif redistributif : on est seulement dans le financement de projets, dans lesquels ne se joue plus de transformation du point de vue des plans d’investissements.
Quand on a envie, avec des collègues, d’être désagréables, on dit que les budgets participatifs, c’est la kermesse à projets.
Ce qui est important, c’est de comprendre que ce n’est pas un hasard, ce n’est pas un effet: c’est précisément parce que ces dispositifs ont été plateformisés qu’ils sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui.
On voit bien ici une logique d’institutionnalisation de la participation citoyenne qui repose sur son verrouillage.
Quand on regarde encore sous le capot…
Dans le domaine de la transition écologique, on entend de plus en plus l’idée que ces dispositifs seraient des instruments de mobilisation citoyenne. Sauf que là encore, si on regarde vraiment ces dispositifs, on se rend compte qu’on est plutôt dans une logique de gouvernementalité que de démocratisation.
D’une part parce qu’il y a clairement un cadrage « pédagogique » de ces dispositifs : quand on regarde les finalités données à ces dispositifs, il s’agit de faire participer pour éduquer. C’est ce qui ressort de manière constante dans tous ces dispositifs (budget participatif, participation sur les plans climat, etc.) : il « faut » faire participer, dans le but d’éduquer. C’est un cadrage pédagogique extrêmement prégnant.
D’autre part parce qu’on observe un soutien très ambigu aux « initiatives citoyennes de transition » - ces initiatives qui se sont développées dans le domaine de l’énergie, de l’alimentation, etc. De nombreuses politiques publiques affichent leur soutien à ces initiatives…sauf que ce qui est vraiment soutenu, ce sont celles qui ne remettent pas trop en cause le cadre.
Il y a une répression des initiatives associées à un discours jugé trop radical (à l’égard d’un projet, d’un modèle de développement, etc.) et une valorisation d’initiatives plutôt consensuelles, qui apparaissent comme suffisamment conformes aux modèles dominants. Les premières sont systématiquement écartées, les secondes soutenues.
On retrouve ici ce qu’on appelle l’habillage participatif du gouvernement des conduites écologiques : le fait de valoriser les chantiers participatifs, les composteurs partagés, tout un tas de défis…et de mettre l’accent sur le fait de faire participer – mais participer à quoi ? En réalité, à la mise en œuvre de politiques décidées par ailleurs. On a donc ici verrouillé la participation dans l’espace de la décision, et on l’amplifie, on la déploie, dans l’espace de la mise en œuvre. C’est un élément central pour comprendre le succès de ces dispositifs de participation citoyenne.
Conclusion
La participation citoyenne a connu une institutionnalisation en trompe-l’œil. Le succès quantitatif de ces dispositifs n’est pas du tout le signe d’une démocratisation de l’environnement. Je ne suis pas du tout convaincue par les discours disant qu’on assiste à l’émergence d’une démocratie environnementale.
Il est aujourd’hui possible de mettre en œuvre des processus de participation sans se poser la question du « pourquoi on fait participer ». C’est précisément cette participation en kit, cette standardisation, qui explique leur recours massif. On a réduit la participation à cette logique de procédures. Ainsi on va pouvoir compter des propositions ; compter des « éléments participatifs »…Mais tout ça dispense de réfléchir à quoi on fait participer.
C’est la dépolitisation des processus participatifs qui a été la condition de leur succès. Cette dépolitisation se traduit par la déconnexion des procédures participatives avec les processus décisionnels. On va créer un événement participatif et on ne pense pas sa connexion à la décision, ou on empêche sa connexion à la décision.
Je ne suis pas du tout en train de dire que la participation citoyenne n’est pas nécessaire. Je dis que si on ne repolitise pas la participation citoyenne, si on se contente de penser en termes de procédures, si on ne réfléchit pas à quoi on doit faire participer, à quelles conditions on doit faire participer, il n’y a aucune chance que ces dispositifs de participation contribuent à déverrouiller la transition écologique.
Au contraire, même : l’institutionnalisation de ces dispositifs participe à institutionnaliser une conception dépolitisée de la transition.
Au lieu d’avoir un cercle vertueux (une participation qui serait une forme de repolitisation des enjeux environnementaux), on a un cercle vieux de dépolitisation de la participation qui participe à verrouiller la transition.
Il faut repolitiser la participation citoyenne pour déverrouiller la transition. »
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Vous pouvez retrouver sur ce lien la vidéo de la présentation d’Alice Mazeaud.
Dans les échanges avec le public post-présentation, j’ai noté aussi ces remarques intéressantes de sa part :
1/ Concernant la Convention citoyenne pour le climat : « on voit bien que les propositions faites par les citoyens n’étaient sans doute pas celles anticipées, même si [les organisateurs s’en sont sortis via l’existence de] marges de manœuvre fortes sur la manière dont ils pouvaient prendre en compte ces propositions. La conséquence est que désormais dans ce type de dispositifs, il y a une forte restriction sur la possibilité de faire des propositions radicales. On l’a vu sur la Convention sur la fin de vie. On constate donc un effet d’apprentissage très rapide des organisateurs de certaines conventions citoyennes. »
2/ « Le verrouillage s’opère en particulier sur le cadrage des enjeux. Les périmètres des dispositifs fragmentent les sujets et empêchent des réflexions plus systémiques. Quand des groupes revendiquent de mettre en discussion certains sujets, ce n’est pas pris en charge dans les dispositifs de participation, car leur application est standardisée. Les questions fondamentalement politiques sont soit laissées sous le tapis, soit écartées si des groupes essaient de les traiter. »
3/ Sur le problème du manque de temps des citoyens pour participer à ces dispositifs (suite à une question dans le public) : « Les outils et techniques pour y remédier sont connues : indemnisation de la garde d’enfants, des journées non travaillées, etc. Les conventions citoyennes ont résolu ce problème. Par ailleurs il faut bien voir que cela prend du temps aussi de participer à de mauvaises consultations. Le livre « La concertation est-elle rentable ? » (Editions Quae, 2019) souligne le temps perdu dans la concertation, qui pourrait être plus utile à faire autre chose. Le temps est un problème s’il n’y a pas de petites et grandes victoires. »
Pour aller plus loin sur ces questions : Alice Mazeaud a développé son analyse par écrit dans un article publié en 2021, accessible sur ce lien, et dans bien d’autres articles académiques à retrouver ici.
Bonus
Impossible de finir ce numéro sans mentionner ces deux productions récentes sur ces sujets :
1/ Au théâtre, la pièce « Coupures », une réussite, dont voici le pitch :
« Ce soir, dans l’assistance, personne n’y comprend plus rien. Comment Frédéric, maire écologiste, agriculteur, jeune père de famille, engagé, … a-t-il pu décider seul, et dans le secret, du déploiement de la dernière génération d’antennes-relais partout dans la commune ? Coupures est une comédie satirique qui aborde la place que le public occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique. »
Prochaines villes où voir la pièce, en mars : Paris, Courbevoie, Les Pavillons-sous-bois, Conflans-Sainte-Honorine, Marseille. A suivre pour les autres les mois suivants !
2/ En librairie, « Pour en finir avec la démocratie participative » de Manon Loisel et Nicolas Rio, enseignants-chercheurs et surtout praticiens de la démocratie locale au sein de leur cabinet Partie Prenante.
Ils parlent de « gueule de bois du renouveau démocratique » et expliquent : « On a longtemps considéré les dispositifs participatifs comme une réponse à la crise démocratique. En regardant la situation à froid, on réalise qu'ils contribuent plutôt à renforcer le problème ».
Pour des précisions : lire leur entretien au site « Autrement autrement » ; celui donné à Mediapart (sur abonnement) ; un compte-rendu de leur livre par Hubert Guillaud (ou en plus court dans Le Monde) ; ou voir leur échange-débat avec Alice Mazeaud en vidéo.
Voici directement quelques verbatims des auteurs :
« En tant que praticiens de l'action publique locale, on ressent une perte de sens face à la démocratie participative telle qu'elle est menée. Ce qui a pu être un combat pour impliquer les citoyens dans l'action publique a fini par devenir une injonction bureaucratique, omniprésente ».
Ils constatent « un plafond de verre des dispositifs de participation citoyenne » (y compris concernant « les plus perfectionnés ») et une « incapacité de ces dispositifs à transformer les institutions pour les rendre plus démocratiques ». Cette « impuissance » tient, selon eux, à au moins deux facteurs :
-La centralisation du pouvoir, alors que ces dispositifs participatifs restent au contraire à la marge des lieux de pouvoir. « Notre hypothèse est que le problème n'est pas lié aux dispositifs eux-mêmes mais à la place qu'ils occupent, à la marge des institutions. Dès lors arrêtons de nous épuiser à perfectionner des dispositifs qui sont condamnés à rester en marge. »
-La difficulté de la démocratie participative à faire entendre les personnes inaudibles, dont la parole est, malgré les efforts, toujours moins entendue que ceux habitués à participer (les « TLM », pour « toujours les mêmes » qui s'expriment). De là un biais de confirmation dans lequel évoluent les collectivités : elles ont tendance à écouter ce qu’elles savent déjà ».
Le risque est alors « d'invisibiliser davantage les inaudibles et de redoubler les inégalités démocratiques. Non seulement le profil de ceux qui participent est souvent homogène (diplômés, souvent plus âgés…) mais, en plus, il est souvent identique à ceux qui votent et ceux qui sont élus. Le "Grand débat" a été la caricature de ce phénomène mais c'est aussi le cas sur les budgets participatifs, initiatives participatives de quartiers, etc. ».
Parmi leurs propositions et pistes : faire moins mais mieux. « Appuyer sur pause. Mettre fin à une fuite en avant de l'offre participative. Si dispositifs il doit y avoir, ils doivent nécessairement être redistributifs : pour chacune des questions que l'institution se pose, elle doit se demander : "qui a-t-on besoin d'entendre ?" ».
Ce changement de logique « nécessite de changer les critères d'évaluation des dispositifs. Aujourd’hui c'est : "y a-t-il eu du monde ?". Or peut-être qu'il faut beaucoup de moins de monde, mais des paroles peu entendues aujourd’hui ».
« Ce qu'on attend, ce n’est pas la logique de "faire des propositions" comme si on avait toujours besoin de nouvelles propositions, alors que souvent les solutions sont déjà là, mais celle de se mettre en position d'écouter les vécus ». Manon Loisel cite l’exemple d’un travail mené à Grenoble sur les zones à faibles émissions où le travail participatif à consister d’abord à écouter les sentiments d'injustices.
Ils préconisent notamment de faire plus de place à la méthode de l'immersion - se mettre à la hauteur de chaque citoyen ou usager, pour en comprendre le vécu et le quotidien – et de sortir de la logique du « citoyen moyen » qui vient homogénéiser les profils.
Ils suggèrent aussi cette idée : « Et si on organisait des auditions de citoyens, comme on le fait à l'Assemblée Nationale et au Sénat avec des auditions d'experts, pour qu'ils viennent raconter leurs vécus ? ». Auquel cas, « mieux vaut avoir 50 élus écoutant 3 citoyens avec une vraie qualité d'écoute, plutôt qu'1 élu venant écouter d'une demi-oreille 50 citoyens ».
« Les institutions sont dans une forme de surdité organisée. La crise démocratique, ce sont des muets qui parlent à des sourds, disait Bruno Latour. Il faut travailler sur la surdité des institutions et pas juste sur l'expression des citoyens ».
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De ces mêmes deux auteurs, je vous recommande aussi le court article « Transition écologique : pourquoi on n’y arrive pas », appliqué à l’action publique. Une analyse sans tabous qui rejoint celle d’Alice Mazeaud. Extraits : « Plus que l’absence de récit désirable, la transition écologique bute sur la difficulté de l’action publique à assumer les divergences d’intérêts ». (…) « L’inefficacité des démarches sur les politiques de transition découle de leur dépolitisation. Comme si l’écologie n’était qu’une affaire d’ingénieurs ».
Ce qui fait le lien avec un autre propos de leur livre : « Les dispositifs participatifs sont une forme de reprise en main de toute forme de contestation. Au sein de ces dispositifs, on constate un malaise sur la dimension conflictuelle, qui vient atténuer voire sortir ce qui est conflictuel. Or ce n'est pas aux institutions d'organiser les contestations à leurs propres projets ».
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Enfin, sur le sujet de la participation, j’ai vu passer une expérience originale menée par France Stratégie : impliquer des citoyens dans l'évaluation d’un plan de lutte contre la pauvreté. Comme le dit justement le communicant Thierry Herrant, « on ne parle de participation citoyenne pratiquement que pour l'élaboration des politiques publiques, beaucoup plus rarement pour leur mise en œuvre ou leur évaluation. Or, ces deux dimensions sont essentielles. »
C’était le 67e numéro de Nourritures terrestres. Pour soutenir ce travail, vous pouvez partager ces articles, ou contribuer à ma page Tipeee ici. A bientôt ! Clément
Super article sur la démocratie participative aujourd'hui ? On se demande quand même qui doit mettre en oeuvre les préconisations que vous présentez : les politiques ? les citoyens ? les agences de démocratie participative ? J'ai le sentiment que tant qu'il n'y aura pas un vrai poids venant du haut, ça ne changera pas, ce qui est paradoxal pour une approche "par le bas".
Tres interessant, merci pour cet article !